Depuis quelques années, l’exercice consistant pour une célébrité à étaler un storytelling tout à sa gloire à travers la production d’une autofiction prenant l’apparence, et l’apparence seulement, d’un documentaire, est devenu monnaie courante. L’entreprise accouche toujours de la même forme : un récit biographique assuré par l’héroïne elle-même que rien ne vient contredire, quelques intervenants triés sur le volet qui servent de passe-plat, et une imagerie entre le clip, la publicité et le filmage sportif (l’alliage des gros plans en téléobjectifs et des images de drone) pour illustrer le quotidien de l’icône et construire artificiellement une proximité avec celle-ci. Black Dynamite Films, qui accompagne Mélanie « Diam’s » Giorgiades dans ce projet, s’en est fait une spécialité. Des stars de la chanson (Sardou, Gims) aux politiques (Macron) en passant par les sportifs (Rinner, Benzema, Anelka), tout le monde est logé à la même enseigne : ce cadre sophistiqué et totalement lisse, qui derrière les oripeaux de la sincérité (on parle « vrai », bien face à la caméra, le visage net devant un arrière-plan laissé dans le flou), est le théâtre privilégié pour laisser cours à une autosatisfaction frôlant l’hubris.
On ne s’étonne donc pas de la forme qu’épouse Salam, mais on peut toutefois en être déçu, parce que Diam’s n’est pas vraiment une célébrité comme les autres. Elle est la voix la plus écoutée — et par son genre, la plus singulière — du rap français des années 2000, qui s’est éteinte après une sévère dépression, une conversion à l’Islam et la déferlante médiatique sordide que celle-ci a engendrée. Pendant un temps, on peut presque être surpris par l’allant que met le film à épouser le point de vue de l’ex-chanteuse : ce n’est ni un film sur la musique, ni sur la religion, mais bien l’œuvre d’une religieuse venue célébrer son bonheur retrouvé. À l’entendre, son expérience dans le show-business serait celle d’une enfant blessée tombée dans les griffes du diable, chef d’orchestre d’un lugubre ballet entre un public de damnés et une star adulée pour ses failles. La bonne parole que vient ici prêcher Diam’s s’affirme au détriment de la voix de l’artiste : toute sa carrière est résumée en quelques plans de foule qui jouent le vertige et la nausée ; aucune de ses chansons n’est audible. Salam ne se fait que le récit d’une rédemption par l’éveil à la foi. Le film déploie une mise en scène dévote d’une naïveté assez confondante qui sied toutefois logiquement à son horizon hagiographique : des images de paysages et d’animaux pour illustrer la conversion, un artifice consistant à voiler les intervenants par un jeu de lumière (plongeant leur silhouette dans le noir, de sorte que le cadre ne laisse voir que les visages), le fétichisme affiché pour l’habit religieux de Mélanie et les chœurs qui accompagnent toujours sa voix comme celle d’une sainte, etc. S’installe rapidement une certaine lassitude devant les sempiternels ressorts de la starification et de son hypocrisie sans finesse. En témoigne le long dernier mouvement consacré à l’activité humanitaire de l’ex-chanteuse : quand il s’agit d’accompagner Diam’s visiter les orphelins qu’elle aide financièrement, la caméra n’est tournée que vers l’icône.