D’entrée de jeu, Sappho annonce la couleur : une affiche d’une femme nue, des mains (une avec alliance, l’autre sans et plus féminine) posées sur son corps, un titre en référence à une poétesse bien connue pour ses tendances lesbiennes, un sous-titre explicite : « Love without limits », le tout, à la mode ukrainienne. Finalement, rien de nouveau sur Sappho. Rien de nouveau, à l’Est.
L’histoire se déroule dans les années 1920, un jeune couple décide de convoler en voyage de noces sur la belle île grecque de Lesbos. Tout va pour le mieux, lorsqu’une émigrée russe, Hélène, commence à séduire la belle Anglaise, Sappho et remettre en doute l’amour que la première porte à son mari, Phil.
Il n’y a rien d’ukrainien dans le film de Robert Crombie (lui-même anglais) hormis les studios Yalta. Les paysages font honneur à la Grèce, sa mer, ses falaises, ses petites gens, ces petites vies. Et les multiples panoramas peuvent autant séduire les âmes désireuses de verts pâturages et de tropiques ensoleillés qu’attirer un puissant vertige.
Nos jeunes tourtereaux débarquent sur l’île en bateau (entre-temps Sappho perd sa virginité, accompagnée par le chant des sirènes), la seule voiture du village les attend, et une maison, celle de Lord Byron, face à la mer, leur est allouée. Luxe, calme et volupté favorisent ainsi les ébats des jeunes mariés. La lune de miel peut donc commencer sous les plus beaux auspices. Et les scènes érotiques, aussi. Robert Crombie ose afficher des scènes « chocs », des corps nus, des bouches qui se croisent, des mains qui se cherchent, des lèvres qui s’embrassent, et bien plus encore. Quand Sapho découvre les joies du plaisir, l’empire des sens, le spectateur aussi, mais malgré le caractère explicite des images, elles sont enchevêtrées les unes aux autres, dans un montage rapide, vif, comme pour ne pas s’attarder sur le sensualisme de ces scènes. Tout lyrisme se retrouve donc gommé au profit d’un voyeurisme malsain, d’une provocation inaboutie.
Sappho se veut chantre de la libération des femmes. Changeante, comme la lune (filmée à maintes reprises sous toutes ses formes), elle s’habille en homme, porte les cheveux courts, fume des cigarettes, ose conduire, et par amour, porte un tatouage. L’étroitesse de l’île lui permet ses folies. L’idée d’être vue par personne de déjà vu la séduit. Jusqu’au jour où elle croise son alter ego féminin, celle qui lui apprendra les origines de son nom historique, la belle Hélène, fille d’un archéologue russe. Attirée par la beauté slave des cette femme, dès cette rencontre, sa vie sexuelle prend un autre tournant. Sappho se cherche, se regarde inlassable face à son miroir, et tente de percer sa vraie identité. Qui est-elle ? Une réincarnation de la poétesse ? Une lesbienne ? Une hétérosexuelle ? Elle accompagne ses remises en questions d’un comportement excessif, soumis à ses humeurs, ses caprices, elle jongle entre Phil et Hélène, délaisse l’un pour rejoindre l’autre et devient jalouse si les deux viennent à se désirer. Sa jalousie devient enfantine et en inadéquation avec ses actes. Pourquoi Sappho accepte un amour à trois, si elle n’accepte pas que les deux autres s’aiment aussi ? Malgré ses récitations de poèmes inachevés de Sappho, notre Sappho ne s’intéresse pas à l’art, au sens véritable d’un désordre amoureux. Elle l’utilise juste à ses propres fins. Sans conscience. Elle est le contraire du célèbre nom qu’elle porte. Du moins, elle n’a de la vraie Sappho que son penchant pour les femmes, son amour de l’amour. Ses crises d’hystérie, sa voix nasale, criarde n’aident pas non plus à dessiner d’elle une femme fatale. Sappho devient vite insupportable, à tout vouloir sans rien donner.
Sappho tombe dans un pathos décevant. Les événements s’enchaînent sans grandes surprises ; au fur et à mesure, les personnages s’affadissent autant que le jeu des acteurs et dans certaines scènes, les références (involontaires ?) à Titanic de James Cameron, troublent notre esprit cinéphile : Phil peint Hélène nue dans un canapé ; Sappho, debout sur un promontoire, ouvre grand ses bras face à la mer. Peut-être que ces réminiscences ont servi à la réussite de ce film en Ukraine, ou honoré son caractère scandaleux. Enfin, l’œil tique. Puis le second, quand tous prononcent, à différent moments, mais toujours en gros plan, face caméra, regard fixe, ce leitmotiv du film : « A‑t-on le droit d’être heureux ?»