Si Hitoshi Matsumoto est inconnu sur les grands écrans hexagonaux, il est pourtant fort d’un CV et d’une réputation enviables : en deux films, Symbol et Big Man Japan, le réalisateur a su se faire un nom d’amuseur absurde et imprévisible. Si Saya Zamuraï semble plus sage que ses prédécesseurs, c’est sans doute parce qu’il s’astreint à une structure plus rigide, en épisodes. Pourtant, Matsumoto parvient à laisser sourdre le chaos et le non-sens, voire à les mettre au service d’un récit plus cohérent qu’il n’y paraît. Plus qu’intrigant : impressionnant.
C’est une très mauvaise idée de commencer à raconter une blague en disant : « Ah, celle-là est très bonne, vous allez rire. » Testez, vous verrez – le rieur a un fond d’anarchiste méchant : il n’aime pas qu’on lui dise quoi faire. Après une introduction telle que celle précitée, soyez assurés que vous n’aurez face à vous que des faces de Carême, gênées et/ou narquoises. Autant dire que Hitoshi Matsumoto prend des risques, lorsqu’il nous assène son pitch : Kanjuro Nomi, samouraï sans sabre, et veuf flanqué de sa petite fille, est recherché. Inexplicablement immunisé aux attaques des divers chasseurs de primes qui croisent son chemin, l’homme est fait prisonnier par un seigneur local qui lui ordonne de passer une épreuve : il a trente jours, à un essai par jour, pour faire rire son jeune fils, devenu neurasthénique suite à la mort de sa mère. S’il échoue, il devra s’éventrer rituellement.
Peut-être cela tient-il aux masques de la comédie et de la tragédie grecque : par essence, ils sont figés. Toujours est-il que, rapidement, alors que le samouraï enchaîne les sketchs à visées drolatiques, sans provoquer la moindre réaction chez le jeune prince neurasthénique, la crispation nous gagne. Le rire est loin, très loin, et, la plupart du temps, la gêne domine – rendue plus présente encore par le personnage de la petite fille, qui n’en finit plus de pousser son père au suicide tant elle est accablée de honte. Pourtant, ce comique pas drôle du tout n’est qu’un paravent, remarquablement appuyé par la trogne improbable de l’interprète du personnage principal, l’amateur Takaaki Nomi.
Car derrière cette accumulation, rythmée avec précision, Matsumoto tisse des liens indéfectibles entre le samouraï en sursis et son auditoire, que ce soit celui du film ou celui de ses vaines tentatives drolatiques. Ces liens, qui s’expriment notamment via le développement prévisible des rapports entre le seigneur et le samouraï, jouent avec les préconceptions du spectateur : on nous balade pour terminer sur une pirouette attendue, bien sûr…
Il est certain que Hitoshi Matsumoto nous balade. Plus qu’un film à sketchs drôle et attendu, plus qu’un film à sketchs raté, Saya Zamuraï se permet de jouer de l’attente, à la fois temporelle et thématique, de son auditoire, pour mettre son comique absurde en perspective. Son but, inattendu, est logique, narratif, là où l’on attendrait certainement quelque chose de plus chaotique. Il est également émouvant.
Dans sa forme narrative comme dans ses méthodes, Hitoshi Matsumoto expérimente. Ainsi, les séquences mettant en scène Takaaki Nomi ont été tournées sans que celui-ci ne connaisse le scénario dans lequel elles s’imbriquaient, sans même savoir qu’il s’agissait d’un film de cinéma, et non de séquences de télévision destinées à montrer à quelles folies pouvait consentir « un employé d’âge mûr (…) un peu fou », selon les termes du réalisateur. Parfaitement amateur, le comédien fait donc montre d’une candeur dont le réalisateur sait remarquablement profiter, construisant un personnage qui saura, dans les derniers instants, susciter l’émotion que Hitoshi Matsumoto invoque, progressivement.
Tant d’efforts, tant de subtilité pour parvenir à un finale si émouvant pourront certainement en rebuter certains. Il n’en demeure pas moins que la tentative est élégante, subtile et tout à fait intéressante.