S’entourant d’acteurs à la force intérieure singulière, Clive Owen (Closer), Charlotte Rampling (Sous le sable), Jonathan Rhys Meyers (Match Point), Mike Hodges explore avec Seule la mort peut m’arrêter la noirceur de l’humanité, le poids du passé dans la vie de l’homme.
Le genre du polar est ici réalisé avec ses éléments constitutifs: la noirceur des personnages s’inscrit dans les scènes nocturnes, angoissantes et particulièrement glauques; les thèmes de l’honneur, de la virilité font pendant à ceux de la vengeance et du crime. Le montage travaillé artisanalement sur un Steenbeck et non pas en numérique confère nécessairement au film une lumière et une coupe scénographique particulières. L’atmosphère sombre des scènes inscrit dès les premières images l’histoire dans l’horizon du drame. La philosophie du réalisateur britannique? On croit contrôler son destin, or on est conduit, plus que par le hasard, par son propre passé.
Si le film débute avec la présentation de Davey, le jeune frère, gentil voyou qui deale pour gagner un peu d’argent facilement, c’est pourtant le personnage vengeur de Will Graham qui incarne l’enjeu de la narration. Celui-ci, exilé dans la forêt pour échapper à la vie de crime qu’il menait, est obligé de revenir en ville pour comprendre ce qui a pu mener son frère Davey au suicide. La focalisation est constituée d’ailleurs par le point de vue unique de ce personnage. Le spectateur ne connaît le passé des personnages que par les informations que récolte Will Graham au cours de son enquête. Aucun flash-back ne permet de découvrir le passé de Will Graham, c’est en le suivant dans ses recherches présentes que le spectateur comprend peu à peu la vie qu’a voulu fuir l’homme: une technique narrative permettant efficacement l’alliance du spectateur à la cause du héros.
Celui-ci a quitté frère, amie (jouée par Rampling), associé, pour fuir la violence et le crime de ses jeunes années à Londres. Il incarne le justicier vengeur revenu sauver l’honneur de son frère mais aussi la fragilité de l’homme face à son passé. Malgré ses habits de bûcheron solitaire, ses anciens associés n’ont pas de peine à reconnaître celui qui régnait en maître sur les bas-fonds de la ville. « Les gens comme nous ne changent pas, lui rappelle un de ses anciens associés, toute ta vie tu as régné sur cette ville, c’est dans ton sang. » En vrai caïd, Will Graham ne connaît qu’une loi, la sienne; qu’une justice, son arme.
À l’instar du samouraï, Will Graham poursuit ceux qui ont poussé son frère au suicide. Tourmenté entre la nécessité d’une vengeance fraternelle et la volonté de fuir le crime, l’homme est dans un état de perpétuelle tension que Clive Owen véhicule avec excellence. Le scénariste Trevor Preston dit avoir trouvé que le titre du film (une chanson de Warren Zevon) collait à l’angoisse du personnage, lequel semble ne jamais dormir. L’angoisse est celle d’entrer dans un système et d’y être happé, ici celui des caïds des capitales. En sortir c’est fuir et vivre comme un ermite; y revenir, c’est succomber à la violence, à la malhonnêteté. Will Graham saura-t-il échapper à la perpétuation du meurtre? La vision noire du réalisateur et le regard sur la destinée aux allures de mythe grec du scénariste laisse peu de place pour une lumière d’espoir.