Après Bad Teacher, chronique d’une quadra dévergondée en quête d’un époux financièrement viable, le réalisateur Jake Kasdan retrouve Cameron Diaz pour une nouvelle comédie générationnelle qui comme son titre l’indique, est on ne peut plus actuelle. Récit d’une diffusion inopportune d’ébats sexuels, Sex Tape se voudrait déjanté et grivois mais une idée olé olé suffit-elle à estomper la pudibonderie américaine chronique ?
A night to remember
Annie (Cameron Diaz) et Jay (Jason Segel) ont basé leur relation amoureuse sur un appétit sexuel inextinguible. Mais un mariage et deux enfants plus tard, leur libido connaît une longue traversée du désert. Bien décidée à pimenter une rare soirée sans marmot, Annie enfile ses rollers, sort la bouteille de téquila et propose à son mari euphorique de réaliser un film mettant en scène toutes les positions du Kamasutra. Après une nuit athlétique, ils découvrent que leur vidéo a malencontreusement été partagée sur les cinq tablettes que Jay a offertes à ses proches. Débute alors une journée marathon pour remettre la main sur une prestation qui pourrait leur coûter cher.
L’intimité 2.0
Surfant sur la technophilie généralisée du XXIe siècle, Jake Kasdan s’amuse de tous les gadgets qui nous entourent et dont on ne connaît finalement que très peu les usages. Le motif de la sex tape, film pornographique amateur qui offre une médiatisation à peu de frais à des starlettes en mal de reconnaissance, sert ainsi de moteur narratif au film. À la différence des Hilton et autre Kardashian, Annie et Jay désirent conserver leurs images pour un usage privé, mais dans le monde du Cloud, rien ne demeure intime très longtemps. La dissémination du film dans les mains de proches (famille, amis, relations professionnelles) et le cataclysme social qu’elle représente pour les personnages démontre à quel point, sous couvert d’un progressisme et d’une libéralisation apparente des mœurs, la sexualité conserve sa dimension taboue. La superposition de la sphère publique (rôle social consensuel) et privée (intimité, perversions, sexualité), avec laquelle jongle les réseaux sociaux et autres artefacts numériques, trouve dans Sex Tape une incarnation parfaitement jouissive. La mère de famille modèle, bloggeuse à ses heures perdues, ne peut assumer l’étiquette porno que sa vidéo lui confère.
Bas les masques
L’intelligence de Kasdan réside principalement dans sa faculté à déconstruire ses personnages à l’aune de ce jeu des apparences. Lors de la meilleure séquence du film, proprement hilarante, Jay et Annie se rendent chez Hank (Rob Lowe), le potentiel futur employeur de la jeune femme afin d’exfiltrer l’iPad contenant le fichier explosif. Mais aux peurs d’Annie d’être considérée comme une délurée, répond la cocaïnomanie inattendue du patron. Engouffrant des lignes de poudre comme d’autres s’empiffreraient de petits fours, Hank et Annie sombrent alors dans une hystérie communicative, tandis que Jay, aux prises avec un berger allemand vindicatif en arrive à demander de l’aide à Siri (logiciel de smartphone sensé répondre à toutes sortes de questions, même les plus absurdes). Le potentiel comique de la scène réside à la fois dans les péripéties canines, l’évocation des nouvelles technologies (Siri, le Cloud…) et le survoltage délirant de Diaz et Lowe qui font tomber leurs masques sociaux. Mais le réalisateur ne s’arrête pas en si bon chemin. Tous les protagonistes, ou presque, ont droit à leur volte-face : le couple d’amis voyeurs patentés, l’adolescent bedonnant (le seul à maîtriser l’outil technologique) véritable vermine détestable…
Toutefois, si Sex Tape offre une galerie de portraits absolument délectable, il s’interdit la représentation de ce dont il parle. La nudité y est suggérée mais jamais assumée, le film évoque des pratiques sexuelles mais à mots couverts, il dénonce la moralisation congénitale de la société américaine tout en y souscrivant pleinement à l’écran. Cette incohérence, si elle ne nuit aucunement à la dimension comique du long-métrage, souligne la difficulté du cinéma américain à se désolidariser d’une certaine bien-pensance. Quant à Annie, elle apparaît comme la seule victime potentielle de cette fuite vidéo (un risque majeur pèse sur son embauche) à la différence de son mari, gêné par cette mise à nu mais aucunement en danger, une manière pas si innocente de rappeler qu’une femme, pour être prise au sérieux dans la société, doit accepter que sa sexualité demeure un secret d’alcôve.