De la vraie shahada — la profession de foi musulmane — Burhan Qurbani, jeune réalisateur allemand, ne tire pas plus que le titre de sa profession de foi à lui. Soit ce film de fin d’études, où il a pu prouver à l’Académie de Cinéma de Bade-Württemberg avec quelle habileté il maîtrisait la mise en scène carrée et sans fioritures, la création d’une ambiance urbaine d’aujourd’hui bien comme il faut où la musique ethno-électronique anime la grisaille humide, l’écriture d’un scénario faisant s’entrecroiser des intrigues limpides avec sujet de société en toile de fond — en l’occurrence : la pratique contrariée de l’islam par trois jeunes Berlinois d’aujourd’hui.
Problème : pris en otage pour cette démonstration d’académisme, ledit « sujet de société » n’a guère d’autre choix que de disparaître sous les gros sabots plombés des récits formatés qui le désincarnent. Un policier remet en question son couple, sa religion et les lois de son pays quand il s’éprend d’une jeune clandestine. Un apprenti se découvre une attirance pour son collègue juif. Et la fille d’un imam libéral de quartier, contrainte d’avorter clandestinement et incapable d’assumer ce geste, se renferme dans l’intégrisme le plus rigide. Voilà trois intrigues de court métrage, cousues de fil blanc, définies exclusivement par leur arrière-plan commun et les dualités dont elles jouent grossièrement (loi/hors-la-loi, musulman/juif, ouverture/dogmatisme), et auxquelles Qurbani est bien incapable d’apporter la moindre incarnation, encore moins un sens. Il y a toujours quelque chose qui cloche, qui montre à quel point l’application stérile du scénariste-réalisateur à filmer une Berlin froide et humide comme le cliché, à faire crier et pleurer des personnages torturés, ne s’intéresse aux grosses lignes de son synopsis que comme un fil conducteur dans le but bien petit d’articuler ses compétences techniques : un coup de théâtre qui, en voulant expliquer à tout prix, rend tout le reste inutile (eh oui, le flic avait une bonne raison de se rapprocher de cette femme) ; ou des personnages en carton dont on attend seulement qu’ils crachent leurs répliques signifiantes (ne peut-on caractériser un musulman intégriste qu’en le faisant parler comme un Coran ambulant ?).
Le retour du tout-connecté
Ultime petite touche technique qui achève d’enfoncer le film dans sa vanité : les deux ou trois moments de rencontres de pur hasard qu’il aménage entre ses personnages afin de connecter ses sous-intrigues entre elles, et ainsi prétendre avec encore plus d’insistance à un portrait de société. L’artifice, usé jusqu’à la corde et rarement crédible (en tout cas, pas à l’échelle d’un contexte comme Berlin), consacre définitivement Shahada comme une réponse européenne au lamentable Droit de passage importé de Hollywood l’été dernier. Soit un des avatars les plus caricaturaux de ce sous-genre impossible qu’est le « film choral à gros sujet » — qu’on a déjà largement décrit à propos du film de Wayne Kramer : où on s’efforce, à coups de pauvres effets de manches, de brasser dans le même mixeur des histoires rachitiques, toutes avec un arrière-plan commun, de façon à faire croire à un panorama sur une thématique, voire à une certaine vision de cinéma là où il n’y a que consensus creux, flatterie des lieux communs et exploitation de constats réels à des fins de mélodrame télévisuel. La seule vision que nous apporte Shahada, c’est que cette tarte à la crème gâtée s’exporte bien et a encore de beaux jours devant elle.