Il est peut-être bon de le préciser d’emblée: il y a de bonnes choses dans Silent Hill. Des moments où Christophe Gans se révèle un cinéaste inspiré, capable d’imposer un univers fou et terrifiant, où l’horreur fascine non par le dégoût qu’elle inspire mais par sa beauté plastique. À ces scènes de pur délire graphique s’oppose tout le reste et, bien que Gans n’ait pas vraiment à rougir de son film, force est de reconnaître que le pari est loin d’être gagné.
Car la gageure était de taille… Adapter pour le grand écran l’un des jeux vidéo les plus cultissimes qui soient: l’anxiogène Silent Hill, l’histoire d’une mère à la recherche de sa petite fille dans une ville fantôme jadis dévastée par un incendie et dans laquelle errent quelques esprits machiavéliques et de rares autochtones encore plus timbrés. L’histoire du cinéma de ces vingt dernières années regorge de tentatives aussi folles que désespérées de récupération du marché fabuleusement lucratif des jeux vidéo. On se souvient avec peine de Super Mario Bros, Mortal Kombat, Resident Evil et autres Lara Croft: Tomb Raider… Au-delà de scénarios ineptes et d’interprétations à l’avenant, ces films échouaient car ils étaient incapables de prendre en compte une notion intrinsèque au multimédia: l’interactivité. S’il paraît impossible de traduire cette idée dans un médium où le spectateur est condamné à la passivité, Christophe Gans prouve avec Silent Hill qu’il n’est pas exclu de réfléchir à une façon efficace de l’adapter. Il est amusant de voir comment Gans balade son héroïne dans les moindres recoins du décor, aménageant de vrais espaces de flottement qui, s’ils peuvent perdre parfois le spectateur, n’en sont pas moins une vraie proposition de mise en scène qui vient sans cesse rappeler à celui-ci l’origine même du projet. Rose (Radha Mitchell) erre beaucoup entre deux étapes horrifiques, marche et court de façon aléatoire comme le personnage virtuel qui lui sert de modèle; régulièrement, tout au long du film, elle trouve des objets (une lampe de poche, un trousseau de clés, un couteau) qui lui serviront pendant le reste de l’aventure; on s’attend presque à ce que l’écran se fige et qu’une voix off vienne nous annoncer que l’on vient de gagner 15 « vies » supplémentaires.
Visuellement, le film est souvent splendide. Le décor de la ville abandonnée, plongée dans un brouillard permanent et noyée dans une pluie de cendres, crée une atmosphère éminemment cinégénique, hommage aux classiques de la Hammer. Mais c’est quand les sirènes sonnent et que Silent Hill est soudain envahie par les ténèbres que Gans déploie réellement son savoir-faire: puisant son inspiration dans le graphisme du jeu, bien sûr, mais aussi dans l’univers cauchemardesque de l’artiste contemporain et cinéaste Matthew Barney (une influence peut-être pas assumée mais évidente), Gans confronte ses personnages à des démons plus fascinants (chairs déformées en statues vivantes, ballets de corps atrophiés, brassage du sang et du métal) que réellement épouvantables. Les amateurs d’angoisse pure risquent d’être déçus: Silent Hill ne fait jamais vraiment peur, privilégiant une certaine forme de beauté gothique à l’horreur facile pour public adolescent.
Après les calamiteux Crying Freeman et Le Pacte des Loups, Christophe Gans était attendu au tournant, n’ayant jamais réussi à transformer son immense culture de l’image et du cinéma bis (rappelons qu’il fut le cofondateur de la revue Starfix) de façon convaincante dans ses propres œuvres. Contrairement aux apparences, Silent Hill n’est pas un film de commande. Produit avec des capitaux franco-canado-japonais, il a été tourné au Québec sur un scénario signé avec Roger Avary et Nicolas Boukhrief. Gans s’est battu pour obtenir les droits et semble plutôt fier de déclarer que pas grand-chose dans son film n’a à voir avec l’industrie hollywoodienne. Un faux débat un rien hypocrite: Silent Hill s’est peut-être construit en marge des studios, mais il reste en définitive un immense produit marketing distribué par Columbia TriStar. En dépit d’une musique très éloignée des canons hollywoodiens habituels et une réelle ambition formelle, le résultat final ressemble, au fur et à mesure que le film progresse, à une de ces énièmes resucées américaines de films d’horreur japonais. Gans ne réussit pas à tenir les promesses de sa première demi-heure: l’intrigue s’avère inutilement compliquée et dégage un désagréable sentiment de déjà-vu mille fois, les acteurs surjouent constamment (mention spéciale à l’insupportable petite fille) et quand vient l’heure du final, un délire gore à la Destination finale aussi grotesque qu’incongru (surtout en comparaison avec la maîtrise dont avait fait preuve le réalisateur au début du film), il y a de quoi hésiter entre les bâillements et le fou rire. Là où Gans aurait dû privilégier l’atmosphère lugubre qui marque le début du film, il se contente de suivre à la lettre un scénario trop démonstratif, alourdi par de nombreux allers-retours avec le monde réel (une histoire parallèle montre l’époux de l’héroïne à la recherche de sa famille) qui cassent le rythme de l’ensemble. Dommage, trois fois dommage, mais Silent Hill laisse entrevoir le talent singulier d’un réalisateur que l’on croyait résolument médiocre. Ce n’est déjà pas si mal.