Smile premier du nom reposait sur un concept minimaliste : après avoir assisté à l’étrange suicide d’une patiente qui, au moment de son geste fatidique, arborait un terrifiant sourire, une psychiatre surmenée était assaillie de visions peuplées par le même rictus. De fil en aiguille, elle comprenait qu’elle était, comme la défunte, la victime d’une malédiction lancée par une entité maléfique. De cette ligne claire et efficace, Parker Finn tirait un entrelacement inventif d’horreur foraine, entre apparitions ludiques et séquences troublantes centrées sur la psychose du personnage, hantée depuis l’enfance par le suicide de sa mère. Progressivement, tous les visages que rencontraient l’héroïne s’avéraient le vecteur d’un effroi, qu’il s’agisse des sourires fantasmatiques de l’entité, capable d’usurper l’identité de ses proches, ou de personnages qui, la croyant folle, lui lançaient des regards effrayés. Commençant six jours après le premier volet, Smile 2 annonce vite la couleur sur ses intentions avec un long plan-séquence à la virtuosité un peu ostentatoire, brutalement interrompu par un accident de voiture. Une longue traînée de sang, en forme de large sourire, se dessine alors sur le bitume : cette suite, dans une logique inflationniste, sera plus impressionnante et sanglante.
Cette ambition est toutefois accomplie de manière un peu inégale. Le recours excessif à des cadrages « à l’envers », qui constituaient déjà la part faible du premier volet, donne d’abord l’impression d’assister à une nouvelle itération d’un cinéma d’horreur estampillé A24 – on trouve le même effet stéréotypé dans Hérédité ou Midsommar. D’autres mouvements clinquants sont heureusement plus riches de sens, tels ceux transitant des hauteurs d’une ville vers les intérieurs de décors où s’expriment les angoisses de la nouvelle victime au centre du film. C’est que Smile 2 ne vise pas l’élévation propre à ce que l’on a baptisé la « elevated horror », mais explore plutôt une psyché torturée, dans une tradition évoquant certains des premiers Polanski, Répulsion en tête. Le choix du personnage nourrit par ailleurs l’imaginaire de Parker Finn : ici, la maudite est Skye Riley, une célèbre pop star qui, après avoir un temps disparu des radars suite à un tragique accident de voiture, s’apprête à renouer avec son public le temps d’une tournée. Au-delà des scènes de foules, où ses fans affichent l’oppressant sourire de l’entité, Skye se voit contrainte de rester enfermée dans de grandes loges et résidences luxueuses que le cinéaste découpe avec précision, jouant sur les possibilités offertes par de vastes recoins dans l’obscurité, de longs couloirs, d’amples miroirs dédoublant l’espace, etc. La mise en scène cultive de la sorte une tension latente, pour ensuite susciter l’effroi par un surgissement ou une coupe franche. L’horreur infiltre l’esthétique clinquante de la pop star : dans une scène très réussie de répétition, saturée de lumières stroboscopiques, Finn glisse ainsi une vision horrifique et quasi subliminale au cœur des clignotements.
Sursauter ou mourir
Les deux Smile offrent peut-être le meilleur exemple contemporain pour tordre le cou à cette pénible tendance critique et cinéphile consistant à discriminer la figure stylistique du jump scare. Non seulement ces effets de surgissement sont ici préparés en amont par la mise en scène, mais ils témoignent par ailleurs d’une grande originalité, à rebours du caractère « éculé » qu’on leur prête abusivement. On peut même les considérer comme au cœur de l’espace mental patiemment construit par le film : c’est souvent par l’entremise de ces surgissements que l’accident de Skye refait surface, faisant du jump scare l’agent d’un retour du refoulé. Ainsi d’une scène où les yeux de la meilleure amie de la chanteuse se transforment en phares, et sa bouche en klaxon, ravivant le souvenir de son trauma.
À mesure que Skye sombre dans la folie, la caméra connaît par ailleurs de moins en moins de limites pour l’isoler dans un labyrinthe infini mélangeant les lieux et les temporalités : des mouvements d’appareil transitent d’un lieu à l’autre sans que s’opère la moindre coupe, un seul plan contient deux temporalités ou deux réalités différentes, les portes de l’ascenseur d’un building s’ouvrent directement sur une rue de New York filmée en « top shot » (soit une plongée à 90°), etc. Le jump scare peut dès lors surgir de partout, l’espace formel étant mu par un principe de constante recomposition. Cette idée trouve son acmé dans un dernier acte assez fou, où l’héroïne doit décider de faire arrêter son cœur suffisamment longtemps pour que la malédiction s’arrête : l’idée est de mourir, puis de renaître (dans un sursaut), débarrassée du mal qui la ronge. Si cette piste scénaristique semble d’abord annuler la montée en puissance que l’on sentait poindre vers un climax dans la salle de concert, face à des milliers de fans extatiques, la mise en scène orchestre une ultime pirouette, pour repousser encore les frontières d’un espace mental débridé, jusqu’à une conclusion d’une sèche brutalité. En à peine deux films (et dans l’attente de l’improbable remake de Possession de Zulawski avec Robert Pattinson sur lequel il planche), Parker Finn a montré bien des promesses : son cinéma mêle déjà avec brio folie clinique et horreur spectaculaire.