Avec le portrait sans fard d’un Maroc chancelant, le premier long métrage de Meryem Benm’Barek cloue au pilori l’hypocrisie d’une société sclérosée par son traditionalisme, réticente à l’introduction de nouvelles mœurs, garrottant la jeunesse pour qui le quotidien devient irrespirable. Sofia, qui donne son nom au film, est une jeune fille de bonne famille vouée à marcher dans les pas de ses prédécesseurs. Au cours d’un repas, un jour comme les autres, elle défaille et sort de table. Son mal de ventre anodin cache en fait un déni de grossesse et il suffit de quelques scènes pour que la jeune fille se retrouve fille-mère, basculant en un instant dans l’illégalité, car comme l’indique le générique de début avec une citation du code pénal marocain, les relations sexuelles hors mariage sont considérées comme un crime et passibles de poursuites judiciaires. Pourtant, à la stupeur de ses ainés, Sofia peine à saisir la gravité de son « crime », ce qui accentue un peu plus le fossé entre les générations.
Fractures générationnelles
La cinéaste ouvre le bal in medias res et propulse le spectateur au cœur d’un film à thèse où les injustices sociales constituent la charpente d’un postulat réformateur, allant dans le sens de l’émancipation de la jeunesse. Pour se faire, les fractures générationnelles s’expriment par des choix de cadres très différents : d’un côté, une caméra épaule focalisée sur Sofia et Lena (la cousine et confidente de celle-ci), multipliant les gros plans épousant leurs moindres faits et gestes dans un souci de proximité et de posture empathique, de l’autre, ce regard sur la famille dont l’archaïsme moral et sexuel est souligné par des cadres figés et l’isolement constant de l’héroïne.
Le balancement entre l’apathie du monde adulte et l’impuissance des jeunes est la parfaite manifestation des intentions de la cinéaste, mais cette binarité visuelle donne au long métrage une approche didactique très artificielle, d’autant plus que la rigidité de l’environnement asphyxie le spectateur pour qui l’espace scénique devient plus confiné que pour le personnage principal. Ce déséquilibre serait sans doute mineur s’il n’était accentué par un duo d’actrices décevant (Maha Alemi et Lubna Azabal). La première s’avère figée dans une seule et même expression, la seconde manque cruellement de justesse de jeu, ce qui affirme un peu plus les lacunes scénaristiques et son rôle de personnage fonction.
Si pendant la première heure, l’intrigue suit une ligne narrative conventionnelle mais cohérente, les choses se gâtent vers la fin avec un twist changeant le visage du personnage principal, le préjudiciant plutôt qu’il ne l’embellit. Les motifs des actions de Sofia deviennent ambigus (lui appartiennent-ils ou sont-ils le fruit d’une société rétrograde ?), et pour autant, le personnage ne gagne pas en complexité, car la pirouette scénaristique donne une impression de remplissage, voire de poudre aux yeux. En balayant tout espoir d’un avenir meilleur, les protagonistes subissent une contre-évolution, et de leur impasse surgit l’appel à l’aide d’une cinéaste enjoignant le public à faire évoluer les mœurs de son pays. Malgré sa force de frappe, l’œuvre rejoint les lieux communs de celles où l’oppression sociale s’illustre comme leitmotiv (on pourrait citer Mustang de Deniz Gamze Ergüven ou Vierges de Keren Ben Rafael). D’un point de vue progressiste, ces revendications féministes sont essentielles, mais ne font pas pour autant de bons films.