Après avoir mis en scène un émule pas drôle de Crocodile Dundee dans le film de croquemitaine Wolf Creek, Greg McLean a le plaisir de nous présenter le saurien en chair et en os — enfin, son spécimen le plus hypertrophié — dans le film de monstre Solitaire. Le souvenir de Wolf Creek, vieux de 2005, n’inspire qu’un léger haussement d’épaules. Alors fan déclaré de Massacre à la tronçonneuse, de La colline a des yeux et de la caméra numérique à l’épaule façon Dogme 95, le nouveau venu australien prétendait y refaire le portrait de l’archétype australien par excellence, le bushman, en une figure sadique et retorse propre à faire du cliché un cauchemar. Or le résultat, assumant piètrement les références énoncées, s’avérait assez anodin, voire un brin antipathique dans sa recherche de reconnaissance basée sur si peu de chose. Au regard de ce coup d’essai, la vision de Solitaire réserve de bonnes surprises, dont n’est pas la moindre la révision à la baisse des prétentions du cinéaste. Si McLean semble toujours tenu par une allégeance un peu servile aux modèles du cinéma d’horreur, il a au moins renoncé à ériger des propositions esthétiques et thématiques en cache-misère d’un spectacle somme toute basique. Bien ancré sur le terrain du classicisme formel (adieu le Dogme), il œuvre ici en artisan déclaré sans plus nourrir d’arrière-pensées auteuristes qu’il serait incapable de matérialiser de façon pertinente. Évidemment, on y gagne au change.
« Partie de chasse »
À la bande d’ados torturés par un chasseur plein de ressources, succède donc le groupe de sympathiques touristes (entre le blondinet yankee blasé incarné par Michael Vartan et l’adorable famille en vacances) emmenés par une guide blonde mais pas si blonde (Radha Mitchell), avant d’être un à un emportés par un paisible crocodile de huit mètres de long. Après une introduction à l’humour éculé rejouant le sketch du touriste condescendant en butte aux péquenots peu coopératifs, le film déroule son programme avec un savoir-faire où prime le sens du tempo : patiente exposition du futur terrain de chasse (enrobée d’une douce musique répétitive propre à titiller quelque peu les nerfs dans l’attente du carnage), première alerte, première victime, début de panique, seconde victime, lutte pour la survie, etc. Ainsi balisé, ce parcours tire néanmoins une vraie consistance cinématographique des manifestations meurtrières de la bête, où la mise en scène de McLean déploie non seulement une vraie efficacité dans l’action, mais aussi une certaine intelligence de la peur à engendrer à l’écran.
Une modeste réussite qui dénote au passage un cinéaste bien moins engoncé qu’à ses débuts dans des intentions de forme et de fond. Le bushman tueur de Wolf Creek voyait son impact horrifique étouffé par le fardeau d’être dès l’écriture conceptualisé, promu vecteur ostensible d’idées dont le cinéaste surestimait la pertinence : hybridation de références, relecture narquoise d’un cliché pour touristes. L’animal de Solitaire, lui, est étranger à ce type d’abstractions à l’intérêt discutable : sa fonction très primaire — attraper, tuer et déchiqueter, le tout en milieu aquatique bourbeux — suffit à susciter chez le spectateur impressionné son lot de frissons d’origine intime sans qu’il soit besoin d’en surligner les implications et les interprétations possibles. Et McLean, loin de la pose de l’élève doué et goguenard, prend un plaisir évident à filmer la partie de chasse de sa bête, plaisir qui se traduit par une efficacité redoutable dans la façon presque scolaire mais habile qu’il a de révéler progressivement le monstre à l’œuvre : d’abord menace sournoise (la première victime disparaît hors champ et sans bruit), puis silhouette fugace emportant sa proie au travers d’un plan de moins d’une demi-seconde, pans d’écailles entrevus pendant un macabre encas, enfin mastodonte révélé dans tout son gigantisme contre-nature. Le souvenir des Dents de la mer, qui a presque institutionnalisé cette forme d’exposition graduelle, affleure, mais sous une forme un peu plus brute et plus franche que chez Spielberg, sans alerte musicale binaire et avec une intention ludique moins envahissante.
« Distance ironique »
Dommage simplement que même en jouant ainsi à l’artisan, McLean ne se soit pas départi tout à fait de ce qui sous-tendait ses velléités manquées de discours dans son précédent film : un goût perceptible pour une distance ironique plutôt gratuite. Bien que n’étant plus qu’un accessoire au lieu d’une motivation du film, son humour narquois un peu pataud déséquilibre celui-ci en faisant d’une figure classique du genre, le portrait de groupe à caractère vaguement social (ici donc, les touristes luttant pour la survie face à une Nature hostile), une grossière caricature du genre humain. Une scène de traversée coordonnée d’un fleuve à la corde tourne ainsi à la bouffonnerie peu crédible, que seule vient relever, à la fin, l’apparition meurtrière du croco. McLean, alors, s’avère moins proche de ses modèles horrifiques avoués que du Spielberg précité : plus à son affaire pour mettre en scène les monstres que les êtres humains. Néanmoins, ce second film ballottant ainsi entre efficacité nette et approximations un peu puériles a au moins le mérite de faire réévaluer le statut de ce cinéaste : petit faiseur d’épouvante, pas aussi personnel ni intéressant qu’il voudrait être, mais non dénué d’un vrai rapport au genre et d’un investissement appréciable dans son entreprise de spectacle horrifique.