Primé au festival de Berlin où il obtint l’Ours d’argent, le prix de la meilleure réalisation et celui de la meilleure comédienne, Sophie Scholl retrace les derniers jours d’un mythe, celui d’une des rares héroïnes de l’histoire allemande. Fidèle à son sujet comme Sophie Scholl le fut à sa foi, l’œuvre de Marc Rothemund met pourtant quelques instants à trouver le ton juste pour narrer le chemin vers la mort avant de nous plonger avec sobriété dans l’enfer judiciaire nazi. Remarquablement documenté grâce à l’ouverture de certaines archives dans les années 1980, ce film ajoute au portrait d’une femme la justesse d’une recherche historique qui en confirme l’importance.
Fait assez rare dans le cinéma mondial, Sophie Scholl traite des derniers jours d’une figure de la Résistance allemande : le sujet est en lui-même intéressant dans la mesure où le cinéma, depuis quelques années et si l’on exclut les comédies franco-françaises à base de gentils résistants ou d’apprentis chanteurs à la croix de bois, utilise plus volontiers comme décor historique les affrontements militaires ou la personnalité des dignitaires nazis comme en témoignent Moloch de Sokourov ou encore La Chute d’Oliver Hirschbiegel. Marc Rothemund n’a voulu faire ni l’historique d’un mouvement de résistance ni une énième chronique des années noires. D’autres œuvres, La Rose blanche de Michael Verhoeven ou Fünf letzte Tage de Percy Adlon, plaçaient l’organisation en leur centre mais il ne fut jamais question d’évoquer le face-à-face entre Sophie Scholl et ses bourreaux.
Marc Rothemund, quant à lui, commence son film par l’arrestation des Scholl pour imaginer le huis clos entre Sophie et Robert Mohr, agent de la Gestapo plus spécialiste des interrogatoires que de la propagande nazie : si le réalisateur tarde quelque peu à prendre ses marques dans le portrait de cette femme d’exception, il évite le piège de la fresque historique convenue pour s’attacher au panache sobre de la jeune martyre. Les premières images nous plongent dans l’imprimerie clandestine qui sert de quartier général aux étudiants munichois de la Rose Blanche, puis dans l’université où les Scholl seront arrêtés sur dénonciation après la distribution illégale de leurs tracts. Les débuts semblent superficiels, tant l’image et la musique se plaisent à suivre les mouvements de fuite, de course et de précipitation des résistants et à rendre une angoisse un peu vaine. L’atmosphère quasi policière de ces débuts est pourtant très éloignée de l’ensemble du film qui, par bonheur, se recentre rapidement sur son sujet : Sophie Scholl.
C’est elle, incarnée par Julia Jentsch, remarquable de sobriété et de prestance dans le rôle d’une femme courageuse et sans concession, qui prend le dessus. Le film se construit dès lors sur un aller-retour constant entre la cellule de Sophie Scholl et le bureau de Robert Mohr où celle-ci est interrogée : l’espace cloisonné et oppressant permet à Marc Rothemund de filmer la bataille acharnée de deux volontés farouches, plus que de deux idéologies, puisque Sophie Scholl ne se réclamait d’aucun parti, et Robert Mohr était davantage l’exemple de la servitude au pouvoir et à l’ordre établi que le symbole du régime. Filmés en gros plans, les visages, impassibles, ne font transparaître aucune fausse émotion, simplement une force, celle de la conviction et de l’absence de peur presque terrifiante de Sophie Scholl. Elle n’est pas une pasionaria. Son corps est chétif, son apparence banale, son combat assumé.
Entre culpabilité avouée, revendiquée et tentative (réussie au vu du trouble que provoquera son intervention durant le simulacre de procès où elle sera jugée) de convaincre son auditoire, Sophie Scholl est une femme de foi. Elle refusera tout compromis proposé par Mohr, qui voit en elle son fils du même âge qui était alors sur le front de l’Est, et continuera jusqu’au bout à clamer son horreur du régime hitlérien.
Marc Rothemund assume par ailleurs pleinement sa finalité quasi hagiographique. Son personnage approche bien souvent de la divinité : sans cesse entourée d’une lumière blanche renvoyant notamment à son protestantisme, Sophie Scholl est elle-même happée par ce halo, trop sûre de ses convictions et croyances pour avoir peur, pour se renier. Elle seule donne une couleur à l’image (elle est ainsi la seule dont on voit l’ombre sur les murs de la prison), elle seule est filmée dans un décor vivant. Son immobilité défie tous les immobilismes existants. Si une véritable figure mythique se construit au fur et à mesure des scènes, elle n’apparaît jamais comme un spectre irréel ou une vision fantomatique. Car tout symbole qu’elle soit, c’est bien sa personne qui est au centre du film, non ce qu’elle a pu représenter historiquement.
Sophie Scholl n’est ni Blanche de La Force ni Louise Michel. Son personnage impose une présence et marche vers la mort avec la dignité des êtres justes. Marc Rothemund, qui s’est plongé dans les archives de la Gestapo avant de tourner, a choisi la reconstitution authentique sans grande pompe. Pas de débauche de croix gammées et de nazillons hystériques en vue. Dans une époque où la mémoire orale plus ou moins précise sert par trop de fondation à l’Histoire, il est bon de voir que certaines fictions comme celle-là s’attachent aussi bien à la justice qu’à la justesse.