Nouvelle pierre à l’édifice des grands festivals des années 1960 – 70, Soul Power vient se placer dans la lignée des grands « rockumentaires » que sont Monterey Pop Festival, Woodstock, Gimme Shelter et le fameux Wattstax. Riche d’images inédites, de rythmes endiablés et de parenthèses fascinantes, Soul Power revient sur le festival zaïrois de Kinshasa qui s’est déroulé en 1974 en amont du fameux combat entre Muhammad Ali et George Foreman. L’événement consacrait alors le sommet de la lutte des afro américains par la réunion des grandes voix de la soul et du rythm’n’blues U.S. mais surtout l’exercice d’un cri que des siècles de colonisation et d’esclavage ont constamment cherché à bâillonner.
Au moment du festival Zaïre 74, le contexte historique s’avère particulièrement important. Le combat pour les droits civiques des afro-américains aux États-Unis et celui du peuple africain contre la colonisation occidentale démontrent que l’avènement d’une reconnaissance est en train de se réaliser. Séparées par un océan, ces deux luttes se rejoignent alors par la formidable énergie qui anime ses acteurs et les grandes personnalités qui leur servent de porte-voix. Alors que Martin Luther King a payé le prix de son rêve, ce sont les discours plus radicaux de Muhammad Ali et Malcolm X qui engagent sur le ring de la contestation un combat pour la libération du peuple noir et contre toutes formes d’oppression raciale. Quant aux artistes et aux musiciens black, ils ont depuis le début chanté leur blues, électrifié leur rage et conquis l’occident à travers leur psalmodie soul.
C’est dans ce contexte général et plutôt abrasif que l’organisateur (et musicien) Hugh Masakela a imaginé un grand rassemblement populaire avec à l’affiche des artistes noirs venus des États-Unis et des musiciens africains plus méconnus. Grâce à l’aide du producteur de boxe Don King et de l’aval du dictateur zaïrois Joseph Mobutu, le casting de l’événement réunit « The Godfather of Soul » James Brown, le bluesman B.B. King, Bill Withers et l’Africaine Miriam Makeba. Se déroulant sur trois jours, le gigantesque festival fait alors figure de retour aux sources pour les afro-américains et de concentration unitaire autour de la musique amplifiée et revendicative. Contre-champ foudroyant du grand documentaire When We Were Kings qui suit les préparatifs et le déroulement du combat Ali-Foreman, Soul Power a pu exister grâce au travail du réalisateur de l’époque, Leon Gast, et des captations lumineuses d’une demi douzaine de cadreurs (dont Albert Maysles, auteur avec son frère du Gimme Shelter sur le concert des Rolling Stones à Atalmont). Enchanté par cet inestimable matériau, le réalisateur Jeffrey Levy-Hinte a alors décidé de faire revivre l’événement en organisant toutes ces images d’archive.
Opérant comme un véritable rockumentaire, Soul Power s’inscrit à travers son générique saccadé et ses lettrages vintage dans la dynamique propre d’un genre qui a connu ses heures glorieuses dans les années 70. Inspiré par le cinéma-vérité de D.A. Pennebaker, d’Albert Maysles et de Frederick Wiseman, le film échappe rapidement à l’écueil de se focaliser uniquement sur le concert et les performances live. Le montage fluide rassemble ces fragments épars qui vont d’images capturant l’existence désœuvrée du peuple africain, celles des préparatifs de l’événement et le voyage des artistes américains dans l’avion qui les mène au Zaïre. Et au regard de ce concert pris sur le vif dans les rues de Kinshasa, la progression du film, avant les festivités musicales, agit sur le spectateur comme un crescendo bien maîtrisé. Aussi et afin de nous plonger au cœur d’une agitation joyeuse et frénétique le film évite ces interviews rétrospectives qui accompagnent aujourd’hui la représentation de ce type événements.
Et au-delà des images dont on pourrait jurer que Michael Mann a exploré avant de réaliser son biopic Ali, ce qui se démarque de Soul Power s’avère être son élan musical prégnant et le circuit sonique qui semble soulever toute la nature plane de l’écran. Des séquences improvisées par les musiciens américains sur une place de Kinshasa où les peaux sont battues dans un rythme furieux aux attaques verbales d’un Mohammad Ali au sommet de sa rage, c’est tout le tissu de l’Afrique qui se recompose et semble atteint par une fièvre originelle. De même, les chorégraphies endiablées de The Crusaders, la complainte acoustique de Bill Withers et les glissandos aigus de B.B. King participent à une libération hypnotique de basses, de funk et de corps ivres de sonorités. Le summum du festival réside alors dans la performance de James Brown qui après avoir débarqué avec une cohorte de splendides créatures illumine de son sourire diamant la beauté plastique de Soul Power. Filmé sous des lumières brillantes et de près par les différents objectifs, Mister Dynamite, combinaison éclatante, visage perlé de sueur, démontre qu’il était le plus grand showman de la musique noire. Atteignant ici des hystéries vocales assez grandioses, le parrain de la soul combine grands écarts d’une souplesse folle et chorégraphies on ne peut plus hallucinantes. Et Soul Power mérite alors amplement son titre.