Douce ironie que d’ouvrir un film qui traite de la surdité par un morceau de métal ! Ruben et Lou, sur scène, jouent tous potards à fond, elle hurlant et plaquant des accords ravageurs, lui frappant sa batterie, comme désespéré. Ironie, vraiment ? Par cette virtuose scène inaugurale, Darius Marder annonce l’ambition de son premier film : montrer la vie, partout où elle se trouve. Ici, ce sont des corps, des cris, la symbiose des deux membres du groupe qu’on devine en couple. Plus tard, ce sera la vie des sourds, que Ruben partagera après avoir perdu l’ouïe. Sound of Metal se fait ainsi moins le récit dramatique d’un jeune musicien privé de l’audition qu’une ode à la puissance d’adaptation de l’humain.
Bien vite est dévoilé le nœud dramatique principal, lorsque Ruben devient sourd. Darius Marder évite pourtant intelligemment l’écueil du pathos : récit d’apprentissage portraiturant plus large, il offre par exemple une belle place à la communauté sourde, rarement représentée dans le cinéma indépendant américain. Sans sombrer dans la dramatisation de son sujet, le film montre davantage la lente reconstruction de Ruben que ses premières crises de détresse. Ici réside une autre richesse du scénario : l’apprentissage de la surdité va de pair avec une évolution intérieure du personnage. Le métalleux renfrogné et nerveux devient l’intervenant scolaire souriant et impliqué qui donne des cours de batterie à des enfants sourds. Cette manière de montrer le personnage apprendre à communiquer est touchante : finalement, c’est privé de l’un de ses sens essentiels qu’il paraît le mieux interagir avec les autres. Plusieurs dispositifs de mise en scène accompagnent cet apprentissage de la surdité : c’est évidemment le travail du sound design, qui fait partager au spectateur le son tel qu’il est perçu par Ruben lorsqu’il devient sourd, ou lorsqu’il essaie les implants qui émulent une audition distordue et parasitée ; c’est aussi la manière de le filmer s’intégrer pas à pas, ou plutôt geste par geste, dans la communauté de sourds. La puissante performance de Riz Ahmed est en outre sublimée par sa proximité avec la caméra, reflet d’une méthodologie de travail bien précise du réalisateur, à la frontière du documentaire : l’acteur a véritablement appris à jouer de la musique ainsi que la langue des signes. Allant plus loin encore, l’ingénieur du son Nicolas Becker (récompensé aux Oscars 2021 pour son travail sur le film) a développé pour lui des implants qui simulaient la perte auditive du personnage, lui permettant un jeu au plus proche de la perception des sourds.
En dépit de ces quelques éléments, la mise en scène n’échappe pas par endroits à une certaine platitude. Le traitement de la surdité comme un sujet sensible semble contraindre le film à être quelque peu consensuel : il ne transgresse jamais vraiment une neutralité presque documentaire, ne s’intéressant que trop succinctement aux émotions et aux pensées qui traversent l’esprit bouleversé du personnage principal. Là réside toute la limite de la mise en scène de Marder, qui s’en tient à illustrer le récit sans prendre position. La complexité du personnage principal accentue ce manque d’ambition : le spectateur a l’impression de ne faire qu’assister, passivement, aux pérégrinations – physiques et mentales – du personnage, sans en prendre une quelconque mesure. C’est d’autant plus regrettable que c’est lorsque, enfin, la froideur réaliste instaurée par la didactique de certaines scènes est abolie par quelques dispositifs (mais toujours trop rapidement) que le film offre ses passages les plus puissants, en donnant au spectateur la possibilité de ressentir le monde à travers la sensibilité du personnage, d’entendre – et ne pas entendre – comme lui.