Le premier long-métrage de Laure Portier, Soy Libre, n’est pas un film que l’on reçoit facilement. De par sa nature, il pose un certain de nombre de questions. Le projet de la cinéaste est en soi complexe : faire le portrait d’un adolescent sur plusieurs années, avec tous les problèmes que pose cette compression du temps long. Sur ce point, le film se présente comme une variation salutaire sur le documentaire de Sébastien Lifshitz Adolescentes, en cela qu’il refuse d’adopter une structure de fiction : le portrait d’Arnaud émerge peu à peu d’une accumulation de fragments de vie, ménageant de multiples recoins au personnage pour échapper à cette mise en boîte. Par son montage très habile, joignant des images tournées par la cinéaste à des selfies du garçon, le film donne à voir la fuite en avant d’un jeune homme : le cœur lourd de nombreux traumas affectifs, Arnaud est emporté dans un mouvement qui le mène jusqu’à une vie de hobo au fin fond du Pérou. Cette trajectoire est-elle initiée par son puissant désir de liberté (de nombreuses fois formulé) ou le fruit d’un lent décrochage, d’une chute vertigineuse qui l’oblige à s’inventer un chemin alternatif ? Le film livre une vision désenchantée des récits libertaires à la Into the Wild, suscitant de la confusion en lieu et place d’un enthousiasme galvanisant.
Si le parcours d’Arnaud émeut autant qu’il trouble, c’est que la cinéaste entretient un rapport de proximité avec son personnage – il s’agit de son frère. Cette relation permet à la réalisatrice de partager l’intimité du néo-vagabond (le film n’aurait pas été possible autrement). L’évolution de leurs rapports est ainsi déterminante : « Nano », en fuyant son milieu d’origine, s’éloigne inextricablement de sa sœur et, avec elle, du désir de faire un film ensemble. Longtemps l’œuvre déstabilise par la position de voyeur qu’elle confère au spectateur. C’est dans le dernier tiers, quand la cinéaste perd peu à peu contact avec son frère, celui-ci s’évanouissant dans la jungle péruvienne, que ce courageux travail documentaire trouve tout son sens : en échappant au regard de sa sœur, Arnaud parvient enfin à s’émanciper.