L’ambition d’Adolescentes est belle : en prenant le temps de filmer sur cinq ans le quotidien de deux adolescentes, Emma et Anaïs, Sébastien Lifshitz avait de quoi proposer un pendant documentaire, français et féminin, à Boyhood. Avec son dispositif en miroir, le film parvient à tirer de la différence entre les trajectoires des deux filles davantage qu’un simple constat sociologique (contrairement à Anaïs, Emma vit dans un milieu aisé où il n’est jamais question d’argent), en cristallisant assez bien la cruauté et la sensibilité de l’adolescence, particulièrement dans ce qu’il voudrait dissimuler : si les deux filles sont amies au début du film, elles se voient de moins en moins avec le temps, et l’on peut soupçonner qu’à partir de leurs 16 ans, du fait d’une certaine timidité inédite entre elles, leurs rares retrouvailles sont davantage liées au processus du tournage dans lequel elles sont embarquées plutôt qu’à un réel désir amical. Dans cette optique, le passage du temps permet bien à Adolescentes de combler un vide dans le paysage désertique du teen-movie français, mais hormis cette naturelle déréliction de l’amitié que l’on devine entre les lignes, le film ne parvient pas à trouver un rapport au temps tout à fait fécond.
Pour aboutir au montage final de 2h15 tiré de 500 heures de rushes, Lifshitz et sa monteuse Tina Baz ont privilégié l’abondance de scènes au détriment de leur durée ; le film les empile sans jamais les laisser s’installer, empêchant l’existence de temps morts, quand bien même l’adolescence en est généralement parcourue. De surcroît, cette accumulation de séquences pâtit de son organisation autour de multiples micro-conflits conjuguant engueulades et larmes, qui achève de recouvrir le film d’un voile artificiel. Le projet documentaire se voit ainsi soumis à une sorte de pression dramaturgique et fictionnelle, renforcée par une esthétique légèrement précieuse (dont le cinémascope et la jolie musique des Tindersticks sont les principaux étendards), qui fait obstacle à l’authenticité du film. Au fond, et c’est un comble pour un teen-movie, on pourrait dire que c’est un film mal dans sa peau. Quand on traverse l’année 2015 et que les images extrêmement violentes filmées près du Bataclan le 13 novembre apparaissent à l’écran comme une simple transition ou un ancrage chronologique, sans que ce soit lié au regard des protagonistes, on voit alors tout l’embarras du film face à l’absence de hiérarchie de ses images. On aurait très bien compris – et avec plus de subtilité – à quel moment de l’histoire contemporaine nous nous trouvions devant les belles scènes de débat en classe qui suivent cette séquence.