Dhorasoo n’aura joué que 16 minutes pendant la Coupe du Monde. Pressentiment ou instinct, toujours est-il qu’en avril 2006, Fred Poulet confiait à Vikash Dhorasoo une super‑8 ainsi qu’un magnétophone, deux outils qui devaient suivre le joueur dans son aventure avec l’équipe de France. Relégué sur le banc, le joueur confie son désenchantement. Dans l’ombre du contrechamp, son ami Fred Poulet le soutient, et l’aide à construire un film, une chose qui puisse rester.
On avait vu en 1998 Les Yeux dans les bleus, reportage de journaliste dans les vestiaires du sport. Film-télé type qui regardait l’image qu’elle produisait, filtrée par ses propres prérogatives : celles de montrer un sportif avant et après l’effort, au petit-déjeuner, écoutant de la musique, baillant, se peignant les cheveux… On sait depuis longtemps – et ce n’est pas une insulte de le rappeler – que là où il y a dispositif, il n’y a pas forcément acte de création. Les reporters ont eu le mérite d’être sur place. Ils ont enregistré les faits avec minutie, se sont pliés à la brutalité de leur prince – parfois ils ont même opéré sur lui : ô événement ! Un événement, il y en a eu un ; et un beau. C’était durant l’été 2006. L’Allemagne, triple vainqueur de la Coupe du Monde recevait chez elle 31 autres nations du football. Grande fête médiatique, la plus éclatante depuis le tsunami d’Asie du Sud-Est et la mort de Jean-Paul II.
Substitute ou « l’histoire d’un petit Vikash armé d’une caméra au poing » est avant toute chose une gageure dramatique. On se souvient de cette triste critique de L’Équipe, manifestation imbécile de ce qu’un média pouvait attendre d’un film comme celui-ci : le journaliste se plaignait de n’apprendre rien du Mondial.
En effet, Vikash et Poulet ne se soucient guère de la vie du groupe. Substitute est à peine un film sur le football, il en garde pourtant une caractéristique : l’art du dribble. Contre-pied et contre-temps, voilà en quelques mots le descriptif de ces cinéastes joueurs qui dribblent entre les lignes des conventions médiatiques. Substitute est un vrai film de cinéma dont le kitsch désuet agace ou séduit, mais ne laisse jamais insensible. Car il y a dans cette façon de mettre en scène un geste amateur (Dhorasoo apprend progressivement à se servir de sa super‑8) comme le déploiement d’un fétichisme délicat dont le plus grand mérite est d’être incontestablement anti-télévisuel. Non pas que la télé soit à honnir ou à blâmer, mais qu’elle soit dans l’incapacité de produire des images qui ne soient pas dans une univocité de sens avec le fait qu’elles sous-tendent. Substitute s’impose comme un journal filmé, une plongée en temps et en espace dans l’univers d’un footballeur délaissé par son entraîneur et réduit à sa plus simple expression de cireur de banc. Vikash dans sa chambre d’hôtel, face à sa glace. Vikash dans son lit, une édition de la NRF entre les mains. Vikash en silence, dans le couloir. Vikash se parlant à lui-même, un dictaphone entre les mains. Ce qui surprend bientôt dans ce petit film libre c’est la variété de tons employés, de l’ironie à l’humour en passant par la mélancolie, l’aigreur ou la lucidité. La caméra devient bientôt un catalyseur, ce qui par sa simple présence suscite et recueille les sentiments du footballeur désœuvré, reclus dans sa chambre.
Mais le film ne s’enferme jamais dans les profondeurs de son désenchantement. Sa plus grande richesse provient de l’audace du dispositif mis en place. Car Substitute n’est pas seulement l’histoire d’un footballeur désabusé, c’est aussi une histoire d’amitié et de cinéma. Dans le contrechamp, Fred Poulet, l’ami de Dhorasoo, filme ce qu’il voit. De l’un à l’autre se tisse une complicité malicieuse faite de coups de fil et de rendez-vous drolatiques. Fred c’est le copain, tour à tour supporter (« ce soir je porterai mon maillot ! »), oreille attentive ou soutien moral (le texto). C’est dans ce va-et-vient ludique que Substitute échappe à toute tentation narcissique et s’invente des allures de fable, des airs de réconciliation.