Clara Bouffartigue s’immerge dans un collège de Seine-Saint-Denis pour suivre le travail de deux enseignantes de lettres et d’arts plastiques avec une classe de quatrième. À l’heure où partout l’on parle de « réforme de l’école » et de « grands débats sur l’éducation », la réalisatrice, sans en avoir l’air, s’engage moralement et politiquement, en rappelant cette mission essentielle de l’école : la transmission.
On le répète assez : l’école ce n’est pas que la classe. L’école est « lieu de vie », on y parle, on y bouge, on y mange, on y rit, on y crie, on y fait des réunions, des projets, des sorties. Mais l’école est surtout la classe, c’est-à-dire, en son idéal, l’invitation par le maître à considérer les belles choses et à s’élever à elles et, du côté de l’élève, l’effort, le progrès et parfois la joie comme récompense. C’est cela que Clara Bouffartigue entend montrer : l’œuvre de transmission malgré tout, malgré la difficulté croissante des conditions de travail et les exhortations des pouvoirs et de l’opinion à « changer la pratique du métier » et à « moderniser l’école ».
L’objet premier de Tempête sous un crâne, c’est l’enseignement en tant qu’art de la parole. Pas la parole compréhensive de la mère, injonctive du chef, séductrice du communiquant, ou d’égal à égal de la conversation, avec lesquelles on confond souvent la parole enseignante, mais une parole qui ne vaut qu’à la condition de vouloir élever son interlocuteur et par la qualité des contenus qu’elle transmet. Le film tente de saisir le déploiement de cette parole, sa manière de se mêler aux mots des élèves et de s’en démêler, l’effort pour imposer sa logique face à un public souvent hostile, parfois reconnaissant. La réalité n’est pas masquée et cette réalité est dure : cris, violence diffuse, indiscipline chronique. Toutefois, nous ne sommes pas invités au pessimisme, à la lamentation sur l’impossibilité de la transmission dans le contexte contemporain, ou à considérer l’ambition classique de l’école comme périmée. Le titre suggère bien des désarrois et des difficultés, du côté des enseignants comme du côté des élèves, mais il évoque aussi l’un des plus fameux chapitres des Misérables, qu’Alice, la professeur de français, n’a pas peur de proposer à son public de « ZEP ». Comme Alice, Clara Bouffartigue croit à la force émancipatrice des textes classiques, et le montre de manière délicate, sans édification. De là la haute tenue morale de Tempête sous un crâne. Avec son professeur réduit à un rôle d’animateur, Entre les murs – qui était certes une fiction mais était reçu comme un documentaire – laissait au contraire un goût amer.
La réalisatrice accorde ses moyens à son objet. Son objet est sobre – pas de curiosités pédagogiques, pas d’écrans, mais un tableau noir, une craie, des mots – ses moyens le sont aussi. Elle a pris le temps de se faire oublier des élèves. Les classes de français et d’arts plastiques sont filmées depuis différentes places et durant plusieurs mois. La quotidienneté du travail – ou parfois du non travail – qui s’y fait est ensuite montrée, ainsi que des événements survenant dans la classe, mais toujours pour interroger la situation de transmission. La caméra sort cependant régulièrement de la classe. Outre quelques séquences de cantine ou de salle des profs, d’un intérêt secondaire, la cour, les couloirs sont filmés ; non pas tant pour montrer la vie des élèves que la vie sourde et impersonnelle du collège, ses rythmes intérieurs, ses lumières, ses ombres, ses portes ouvertes et fermées. C’est le lieu d’un travail plus formel qui fait pendant aux séquences dans les classes. Alors que le cadrage se doit d’être souple pour saisir la vie de la classe, ce sont des plans fixes qui saisissent les architectures, les volumes, les reflets. Alors qu’ici il faut faire droit à la parole, on tend là, de manière singulière, vers le silence : les sons sont étouffés, ne sont plus que rumeurs. Ainsi, hormis quelques plans de cohue dans les escaliers, de déambulations dans les couloirs, ou de taquineries dans la cour, les plans hors des classes sont mutiques. Ce n’est pas la vie des adolescents à l’école qui est l’objet de Tempête sous un crâne, mais la vie de la classe, ce qui n’a rien à voir, du moins lorsque les enseignants peuvent et veulent enseigner.