Dans le premier plan du film, la silhouette d’Albertino, élégamment encadré par un format 4:3, se détache d’un dégradé crépusculaire le regard porté vers l’horizon. Dès ces premiers instants, éclate la beauté insolente du film de Leonor Teles en même temps que les limites d’une démarche constamment guidée par une narration sans nuance. Et l’on peut comprendre sa tentation : son personnage principal est formidablement photogénique, renvoyant aux plus belles gueules du cinéma. Entre deux âges, rides creusées et mâchoire carrée de cow-boy, regard insondable perdu entre gravité et tendresse… Tout est là, presque trop, tant le visage d’Albertino constitue un piège pour le film. Une expression si insondable porte la tentation de l’interprétation en salle de montage de ce qu’il peut bien cacher, et c’est ainsi qu’un beau portrait peut alors se faire ensevelir sous la volonté systématique de faire la lumière, de tout interpréter, de ne rien laisser au hors-champ de l’intériorité du personnage.
Réel dompté
Albertino est un pêcheur confronté aux réglementations de plus en plus strictes de l’activité sur le fleuve Tage. Digne et résigné, il continue néanmoins ses sorties quotidiennes, en parallèle de la préparation du mariage de sa fille. Or ce dernier événement devient peu à peu un rite de passage pour lui, celui qui ouvre la voie vers la vieillesse et le dernier acte de sa vie. Voilà ce que raconte Terra Franca, et autant dire que chaque plan, chaque raccord, sera guidé par le besoin de rendre le moindre détail filmé signifiant à l’aune de cette trame. Comme si cela ne suffisait pas, des chansons in extraites d’une radio viennent enrober en off les images, dans une démarche supplémentaire d’explicitation de ce qui est en train de se passer. Et il suffit alors de capter un regard un peu vague, un geste potentiellement signifiant, pour qu’il devienne révélateur de quelque chose de purement scénaristique. Ce besoin de venir appuyer encore et encore la narration du film prive Terra Franca des zones d’ombre nécessaire pour laisser vivre des personnages en dehors d’une ligne toute tracée en amont ou en salle de montage. C’est oublier que le réel ne se laisse pas dompter si facilement, si ce n’est au prix d’un lissage méthodique, et une telle linéarité narrative laisse percer une volonté de contrôle niant toute surprise inhérente à la complexité des émotions humaines. Les personnages s’en retrouvent réduits à des positions sans ambigüité. À titre d’exemple, sa femme Dalia semble accepter ce passage mieux qu’Albertino, et cette position n’évoluera pas durant toute la durée du film. Alors oui, l’émotion est bien là, la maîtrise aussi, mais qu’en est-il de la confiance envers le réel filmé ? Les belles nuances qui naissent des lumières entre chien et loup ne viennent jamais éclairer un récit qui se refuse toute zone d’ombre, à tel point que l’on peut finalement se demander si Terra Franca n’aurait pas atteint ce qu’il cherchait vraiment à être en tant que véritable fiction.