Et soudain, au beau milieu d’un film où aucun indice météorologique ne le rendait plausible, la neige se mit à tomber… La scène se passe dans une ruelle de Jakarta (ville où un flocon de neige n’est que pure fiction). Un homme, virtuose de la machette, vient de tuer à lui seul une horde d’assaillants, mais grièvement blessé, il n’en a plus pour longtemps, d’autant moins qu’au bout de la ruelle, un assassin plus redoutable que tous les autres l’attend. Alors pour lui, pour eux deux, la neige tombe, et comme si l’effet dramatique ne suffisait toujours pas, la « Sarabande » de Haendel (la même musique classique utilisée il y a quelques années pour rythmer une course éperdue dans une célèbre pub pour jeans) retentit. On se rappelle une fantaisie météorologique similaire dans Kill Bill de Tarantino – ce qui n’est, à l’arrivée, pas si étonnant. Au-delà des quelques singularités qu’il fait valoir, The Raid 2, à l’instar de Kill Bill, se complaît dans l’alignement de vignettes tirées de l’imagerie du cinéma de genre, d’une pose à l’autre, d’un morceau de bravoure à l’autre. Il est juste moins roublard dans le remixage et le fignolage des images (sans doute parce qu’il prend ses poses plus au sérieux) ; mais surtout (et c’est ennuyeux), entre les scènes de combats épiques courant après l’anthologie, il a bien du mal à remplir les trous.
Le paradoxe du fromage à trous
The Raid 2, comme son titre l’indique, est la suite directe et même quasi immédiate de The Raid, petit film d’arts martiaux issu de la même équipe indonésienne (et du réalisateur gallois expatrié Gareth Evans), devenu gros buzz international de la saison 2011-2012 – et, on le craignait, sévèrement surévalué. Quelques heures à peine après avoir laissé derrière lui l’immeuble de l’épisode précédent rempli de cadavres, le jeune policier intègre Rama se voit confier, par une cellule de justice parallèle au sein de la police, une mission d’infiltration dans la pègre pour débusquer des collègues corrompus. L’assassinat de son frère par un truand faisant s’envoler ses dernières réticences, le voilà qui découvre les joies du double jeu et de la compromission d’identité, dans un contexte de conflit larvé entre le parrain local, son fils un peu trop gourmand et les concurrents japonais et chinois… Le détail de l’intrigue laisser constater à quel point le succès de The Raid a donné des ailes à son auteur pour la suite – qui n’est autre, paraît-il, que le film qu’il voulait faire à l’origine avant de devoir tempérer provisoirement ses ambitions pour des raisons budgétaires. Le premier épisode tenait sur une heure quarante, celui-là plafonne à deux heures et demie (durée exceptionnelle pour le genre), avec – on s’en doute – plus de combats chorégraphiés qui tachent, mais aussi – nous vend-on – plus de personnages, de scénario, de profondeur, d’âme.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? On peut en douter, en constatant qu’en gonflant ses ambitions, Gareth Evans ne fait que rendre béantes les cruelles carences qui lézardent son cinéma. Les poignées de clichés qui meublaient The Raid entre deux échanges de coups deviennent ici des tombereaux, la revue sans inspiration de ce qui a été fait au cinéma et à la télé sur les mafieux, les flics infiltrés, la vieille ligne entre le bien et le mal. Chez Evans, plus de profondeur et d’âme signifie plus de situations standard décalquées de partout, plus de jeu en bois de « l’acteur » principal Iko Uwais (sans charisme et surtout sans réalisateur qui sache s’en servir), plus de personnages combattants de foire épaissis par des détails biographiques jamais rendus intéressants (l’homme à la machette a une dégaine de clochard et est séparé de sa femme et de son fils ? la tueuse sexy à deux marteaux et celui à la batte de base-ball sont frère et sœur ? cela nous fait une belle jambe). La prétendue plus-value de The Raid 2, hors son contenu martial, n’est que la dilatation des moments creux de l’épisode précédent, du remplissage à tous les étages, y compris au niveau de la mise en scène : il faudrait compter le nombre de scènes émotionnelles ou précédant un affrontement, où Evans se laisse aller aux effets inutiles, aux petits travellings dans les couloirs, aux ralentis interminables, avec parfois le grondement sonore de la tension qui monte, comme pour meubler l’espace et le temps en ayant conscience que hormis la castagne, il ne trouve pas grand-chose à raconter (non qu’il n’y ait rien, mais que lui n’a pas l’inspiration de le trouver). Outre une pensée pour le fameux paradoxe du fromage à trous (plus gros est le fromage, plus il y a de trous et donc…), voir une telle ambition narrative concrétisée en un tel brassage d’air inspire une certaine pitié.
Exécution(s) sommaire(s)
Les aficionados rétorqueront sans doute : « oui, mais le scénario, la vie des gens, tout ça, on s’en fout, ce qui compte dans ce genre de film, c’est la baston ! » Certes. Seulement, même en supposant qu’un scénario serait systématiquement quantité négligeable dans un film d’action (idée reçue contestable), l’argument aurait du mal à tenir ici, ne fût-ce que parce qu’on est face à un film qui, justement, prétend bien mettre les bouchées doubles sur son écriture et ses enjeux hors de l’action pure.
Quant aux combats, parlons-en. Soumis au même effet de gonflement que tout le reste (plus nombreux, plus longs, plus d’adversaires, plus impressionnants), ils n’appellent néanmoins guère plus de commentaires que ceux de l’épisode précédent. Certes, les arts martiaux réunis en Indonésie sous le terme pencak silat, tels que chorégraphiés et pratiqués dans les deux films, ont une certaine beauté dans leur brutalité qui laisse difficilement insensible. Mais si on peut au moins porter au crédit d’Evans un choix de décors-arènes judicieux pour rendre plus percutants les exercices de ces techniques (notamment dans les nombreux espaces confinés), il rame toujours autant pour les filmer, et cela se voit plus encore sur la longueur supérieure de cette suite. On ne compte plus le nombre de mouvements martiaux hachés par des faux raccords pour faire tenir les multiples prises de chacun sur un seul semblant de plan, tandis que la musique énergique arrive à point pour électriser artificiellement le tout. À la base de ce labeur, le problème d’Evans reste le même qu’avant – le même, aussi, que chez ses homologues thaïlandais dirigeant Tony Jaa : faisant fi de toute réflexion esthétique où chaque mouvement pourrait tirer un corps concret vers l’abstrait (cette réflexion qui sous-tendait, jadis, le travail des cinéastes d’action hongkongais), il ne se voue qu’à exhiber les performances de ses combattants-gymnastes. Et aussi peu inspiré dans cette tâche que pour filmer le reste, il s’en tient à une médiocrité de suiveur, jusqu’à se vautrer dans le tremblement brouillon et illisible de la caméra à l’épaule dès que le chaos et la saleté déferlent (un affrontement de groupe dans la boue).
Car s’il y a des choses qui innervent véritablement sa mise en scène, ce sont moins les corps-à-corps (animations qu’il se contente de suivre) que la saleté et la violence qui les accompagnent, et dont il fignole soigneusement les détails, notamment au niveau du son. Ce sont les chutes dans la boue, mais surtout le craquement des os brisés, le petit bruit de l’arme blanche qui gratte la chair en profondeur, quand celle-ci n’est pas écrabouillée sans autre forme de procès – non seulement dans les combats, mais aussi dans les quelques exécutions sommaires. The Raid 2, comme The Raid, exhibe des corps qui sautent et qui frappent, mais ne vend en vérité que la mort sanglante qu’ils administrent et les dégradations qu’on leur inflige. Malgré toute l’indulgence qu’on peut avoir pour le spectacle de la violence, l’usage tape-à-l’œil – pour ne pas dire : pornographique – qu’en fait Evans dénote un fonds de commerce crapoteux et peu recommandable.