C’est précédé d’une petite réputation que sort chez nous cette semaine The Raid, film d’action indonésien qui a connu un joli succès international. Déjà montré un peu partout en France en avant-première, il aurait fait forte impression. On parle d’un film jouissif, culte, survolté, qui dynamiterait les codes du cinéma d’action, etc. Bref, on parle beaucoup et un peu trop vite, comme d’habitude.
Avant, quand on critiquait un film d’action, on disait que son scénario était prétexte à l’action. Devant The Raid on en vient carrément à supposer que chaque scène de combat a été conçue avant même qu’une histoire ne les relie entre elles. Mais, comme un film ne peut pas être qu’une succession de morceaux de bravoure – ça le rendrait indigeste –, il faut bien que s’y intercalent quelques scènes creuses, des moments de pause, de calme. Ce sont les scènes de dialogue où se tissent d’ordinaire les enjeux de l’histoire, où se dessinent les rapports entre les personnages, où se leste l’action à venir du poids qui lui donnera tout son sens. Autant le dire tout de suite : le poids ici ne pèse pas bien lourd. Serbuan Maut (en VO) fait donc partie de ces films qui ne racontent pas vraiment une histoire mais qui la concèdent : parce qu’il faut bien donner un fil au récit, une troupe d’élite de la police d’intervention indonésienne est envoyée donner l’assaut dans un vieil immeuble des quartiers pauvres de Jakarta, repaire d’un important trafiquant de drogue. Et, comme il faut bien que le récit rebondisse, ce dernier est bien préparé et les policiers, plutôt que de bénéficier de l’effet de surprise escompté, se retrouvent pris au piège dans la tour infernale. L’égard de The Raid pour son scénario est égal à celui que l’on accorde à un vieux parent gâteux qu’on ne peut décemment pas laisser à l’abandon : on s’en occupe mais à contre-cœur. Le service sera donc bâclé et syndical, ce qui signifie ici que tout sera conduit par le pilote automatique des conventions du genre : frères ennemis, héros nunuche mais ultra-violent, supérieur corrompu, homme de main indestructible, figurants chair à canon, etc. L’enthousiasme suscité par le film n’est donc pas à chercher de ce côté-ci.
Peut-être que dans ce cas – se demandera-t-on – le film brille plutôt par sa capacité à mettre en scène l’action, à virer sur le formalisme, à tirer le ludisme pur vers l’abstraction comme, jadis, le cinéma de Hong Kong sut si bien le faire ? Ce serait accorder beaucoup de crédit à Gareth Evans, réalisateur gallois expatrié en Indonésie. The Raid est certes animé par une certaine vivacité, mais sa pauvreté visuelle trahit qu’en réalité il n’a été conçu que pour faire état des capacités – réelles – des cascadeurs-vedettes. Cascadeurs doués mais peu charismatiques et surtout très agités. Iko Uwais (Tony Jaa en encore moins bien), « rôle » principal du film, pratique le silat, sorte d’art martial indonésien qui intègre à ces mouvements les armes blanches et les armes à feu. Brutale, sanglante et tout de même impressionnante, cette pratique paraît surtout ici très brouillonne. Il faut le voir mouliner des bras entre deux coups de pied. Ce qu’on gagne en rapidité et en surplus de mouvement, on le perd en grâce. Et, par l’effet de porosité qui caractérise les réalisateurs pas très rigoureux, le filmage d’Evans s’indexe sur ce manque de précision. Le cinéma de Hong Kong, tout bricolé à la six-quatre-deux fût-il, ne négligeait pas, lui, l’écriture, il s’ingéniait à trouver les histoires qui permettaient les situations les plus folles, qui poussaient de film en film leurs artistes martiaux dans leurs retranchements et qui lançaient à la réalisation un défi. Il ne s’agissait pas de montrer à quel point ils étaient performants mais de tester cette performance esthétiquement. The Raid est à des années-lumière de ces intentions, tant n’y défile qu’une succession de mises en situation peu inventives et répétitives, protéiformes, qui stagnent dans une image bleutée et délavée (et pour tout dire assez moche), cadrées approximativement et montées selon la seule et tristounette logique de l’exhibition.
Car oui, lâchons le morceau, le rapport de The Raid à ses scènes d’action tient d’un réflexe typiquement pornographique. Leur sauvagerie, leur effort à déballer toutes les manières possibles de tuer un homme ne visent qu’à satisfaire la pulsion exutoire de jeu du cirque qui fait le lien entre le spectateur de l’Antiquité et celui du XXIème siècle. D’où, peut-être, l’enthousiasme sus-cité. Le spectacle de la violence (plus que la violence elle-même), on aurait l’air vieux jeu de le condamner de manière rédhibitoire. Il faut bien admettre qu’il est l’un des quelques plaisirs insalubres qu’autorise le cinéma. Mais quand il se suffit à lui-même, qu’il ne cherche que sa propre finalité, qu’il n’essaie même pas d’être beau, qu’il n’a même pas l’ambition de cette indécence-là !, si impressionnant soit-il, il est juste lugubre. Il a beau pisser le sang, il ne pisse jamais loin.