Avant de devenir un « film-culte », The Rocky Horror Picture Show fut tout d’abord un musical créé par Richard O’Brien à Londres en 1972, avant de s’exporter en 1974 à Los Angeles puis Broadway. Cette première version scénique des aventures de Frank N. Furter, un sulfureux vampire transsexuel portant paillettes et porte-jarretelles, eut d’abord un tel succès qu’on ne tarda pas à voir défiler parmi le public des icônes musicales des seventies tels que Lou Reed, Mick Jagger ou encore David Bowie. Le spectacle fut dès son origine un événement marquant de l’histoire du Glam rock fondé sur l’hallucinante performance de l’acteur-chanteur qui incarne Frank, Tim Curry. L’adaptation cinématographique du spectacle en 1975, financé par la Fox à hauteur d’un million de dollars, en conserve justement le même acteur principal et charismatique, ainsi qu’une bonne partie de la troupe qui l’entoure, notamment son metteur en scène Jim Sharman, ou encore Richard O’Brien, scénariste, et acteur dans le rôle de Riff-Raff, le fidèle serviteur du vampire. Il serait donc dommage de retenir uniquement de ce « film-culte » ses séances de minuit participatives et carnavalesques, où un large public d’afficionados s’adresse aux acteurs de l’écran, lance du riz, de l’eau, entonne à tue-tête les chansons du film et danse dans la salle de cinéma. Avec le très brillant Phantom of the Paradise de Brian De Palma sorti en 1974, The Horror Picture Show est en effet l’autre grande comédie musicale horrifique des seventies, certes moins réussie, qui participe pleinement à l’essor d’une culture d’avant-garde critique de son temps, celle du Nouvel Hollywood.
Sexy Ziggy
The Rock Horror Picture Show voue avant tout un culte à son personnage central. Véritable icône transgressive, figure dionysiaque et androgyne, Frank y apparaît comme un nouveau Ziggy Stardust faisant l’apologie d’un plaisir sexuel librement partagé. Alors que le personnage séduit et débauche le jeune couple pudibond composé de Janet (Susan Sarandon) et Brad (Barry Bostwick), tout est fait pour mettre en valeur son pouvoir de fascination auprès du public. La dimension spectaculaire de ses apparitions ou de ses chansons est soigneusement préparée : souvent placé en hauteur, dominant tous les autres personnages, il surplombe aussi la caméra qui le filme volontiers en contre-plongée, suivant fidèlement le moindre de ses déplacements. En cela, The Rocky Horror Picture Show reprend un schème classique de la comédie musicale hollywoodienne : mettre en valeur la star et le charme de ses numéros.
Comme Hair de Milos Forman sorti six ans auparavant, il s’agit bien d’un film issu de la révolution sexuelle de la fin des années soixante, où la monogamie hétérosexuelle, mais aussi homosexuelle, est fortement critiquée. Les deux séquences de « mariage » du film tournent rapidement à la blague : les fiançailles de Brad et Janet ont lieu dans le décor ironique et prémonitoire d’un cimetière, et le mariage de Frank et sa créature tout en muscles durera bien peu de temps. Les motifs du mariage, pour le vampire, sont d’ailleurs strictement libidineux : il s’agit de trouver quelqu’un qui « soulage sa tension ». La transsexualité de Frank, à elle seule, symbolise la stricte égalité entre les différentes pratiques homo- et hétérosexuelles, le personnage allant librement de Janet à Brad dans deux scènes filmées de manière identique. La liberté de ton du Rocky Horror Picture Show est aussi fortement influencée par la naissance du « porno-chic » des années soixante-dix : Gorge profonde (Deep Throat) de Gerard Damiano était en effet sorti seulement trois ans auparavant.
Un film de crise
A la croisée du musical, du porno-chic, ce film transgenres s’inscrit aussi dans la continuité du cinéma d’horreur américain des seventies où la violence est avant tout l’expression d’un malaise, d’une crise de confiance à l’égard des grandes institutions de la société américaine : le mariage mais aussi la famille qui se voit ici parodiée dans une scène de dîner tournant au cannibalisme. Les premières séquences, tout en respectant les codes habituels d’un film d’horreur gothique digne de la Hammer (un cimetière, une maison hantée, de jeunes héros innocents et vertueux puis la reprise du mythe de Frankenstein), annoncent d’ailleurs très vite sa dimension contestataire : alors que Brad et Janet se perdent en voiture sous une pluie torrentielle, la radio diffuse le discours de démission de Nixon. Le souvenir désespéré du Watergate et un sentiment discret de paranoïa hante ainsi le récit filmique – tout, dans la maison de Frank, est surveillé par le biais de moniteurs vidéos, exactement comme dans les studios Death Records du diabolique Swan dans Phantom of the Paradise.
« Science-Fiction/Double Features »
Si The Rocky Horror Picture Show a les faiblesses d’un scénario de série Z enchaînant les péripéties sans autre motivation que celle du gag et d’un spectacle où l’horreur tourne vite à l’humour, il témoigne malgré tout d’un profond amour du genre fantastique et de la série B. Le film-culte rend lui-même hommage à ses prédécesseurs dans un amusant jeu référentiel. Justement, le comique naît du détournement de ces références. Ainsi la créature hideuse du professeur Frankenstein se transforme en athlète blond et décérébré, les fidèles serviteurs du maître parodient la chanson « I’m going home » de Judy Garland dans Le Magicien d’Oz, et la fin du film s’achève en une transposition loufoque de King Kong où Frank devient une nouvelle Merian C. Cooper. Le mélange final de science-fiction et d’horreur semble être également un hommage à Plan 9 from Outer Space de Ed Wood, où Frankenstein, justement, croise Dracula et des extraterrestres.
Sous les dehors extravagants de la parodie loufoque et glam-rock, l’esprit du Rocky Horror Picture Show est donc plus sérieux qu’il n’y paraît, à la fois cinéphile et politique.