« Quelle est la pire chose que vous ayez jamais faite ? » proclame en guise de sous-titre le dossier de presse de The Woodsman. Après cette entrée en matière fracassante et d’une brutalité somme toute bien commerciale, on comprend vite que ce premier long métrage de Nicole Kassell aborde un sujet sensible : la pédophilie. Une ligne de synopsis et quelques plans suffisent à établir la trame de fond : un ballon rouge délaissé par un bambin, une balançoire encore mouvante, et l’on pressent l’absence subite et inopinée de l’enfant qui vient de s’en séparer. Avouons-le clairement : avec une approche pareille, on a eu chaud et peur. Et si The Woodsman n’était qu’un clip pour une association de parents victimes ? Fort heureusement, il n’en est rien. Nicole Kassell ne s’est pas jetée dans la gueule du loup.
Walter (Kevin Bacon) sort de prison. Pédophile repenti, placé en liberté conditionnelle, il tente de se racheter et démarre une nouvelle vie. Employé dans une scierie, il se lie avec Vickie (Kyra Sedgwick). Attirée par l’insaisissabilité du personnage, Vickie entreprend d’explorer les zones d’ombre de l’homme Walter. L’existence de ce solitaire introverti est ponctuée par les assauts d’un flic qui veut lui faire la peau, le manège des séances de psychothérapie et les visites du beau-frère. Walter amorce une lutte contre ses vieux démons et un voyage introspectif dans un passé qu’il refoule.
Après plusieurs années d’absence, un monstre à taille humaine ressurgit et cherche à se réhabiliter : la thématique est banale. Pourtant, à travers ce thème d’une facture assez classique, Nicole Kassell se penche sur un sujet à haut risque : le personnage central a un attrait névrotique pour les très jeunes filles. Lorsqu’on ausculte la société, lorsqu’on se penche sur les délinquances sexuelles, peut-on établir une hiérarchie du crime ? Le passé d’un homme l’exclut-il irrémédiablement de la collectivité ? Nicole Kassell pose les questions. N’attendez pas qu’elle vous fournisse les réponses. Elle n’en donne pas.
Mais écartons le sujet et revenons à la thématique : car la pédophilie constitue-t-elle en définitive le propos du film ? Rien n’est moins sûr. Ce qui semble intéresser la réalisatrice serait plutôt la tentative de réinsertion sociale d’un être marginalisé. D’ailleurs, le titre du film (Le Bûcheron littéralement) fait référence au Petit Chaperon Rouge et à un personnage secondaire du conte que l’on omet bien souvent : mais oui, mes chers enfants, c’est un bûcheron qui ouvre le ventre du loup et délivre notre cher chaperon. Une bonne vieille histoire de rédemption, vous dis-je. Et sans se fourvoyer dans les pièges que présente une telle problématique, Nicole Kassell a le mérite d’éviter deux excès : le pathos larmoyant et le symbolisme à outrance.
Entre ces deux excès, ces deux voies faciles, toutes tracées, sans aspérité, ne faisant appel qu’à l’émotion la plus primaire chez le spectateur, elle trace un autre sillon, plus original, plus irrégulier et finalement assez audacieux. Elle dissèque l’identité d’un homme en proie à ses démons, tout en éludant la question trop évidente du suspens. Walter va-t-il récidiver ? Walter, violeur traqué, voyeur surveillé, a beau être placé en liberté conditionnelle, c’est un autre drame que celui de la récidive qui se joue. Subtilement, se dresse pas à pas le portrait d’un personnage énigmatique. Il faut insister sur la performance brillante et dérangeante de Kevin Bacon (également producteur exécutif du film). Par un travail sur la gestuelle, le corps, les déplacements, les mouvements du visage, l’acteur souvent réduit au silence, extériorise les émotions, les pulsions et les refoulements d’un être en souffrance, tiraillé entre l’introversion et l’égarement. Bacon souhaitait que l’on supprime une grande partie des dialogues de son personnage dans le scénario original. La limitation des échanges dialogués exclut alors tout raisonnement et toute motivation intérieure du personnage. Le protagoniste est comme dépsychologisé. Et le film de jouer sur cette ambiguïté. Car, dans certaines séquences, Nicole Kassell réussit par un tour de force à rendre la parole d’un flic plus obscène que le regard du violeur. On pense aux scènes de confrontation entre le Sergent Lucas (Mos Def) et Walter.
Finalement, ce sont peut-être ces moments d’alternance entre parole et silence, entre libération et frustration, qui interrogent le personnage et permettent de saisir la complexité du propos. Les plans en flash-back, le montage jump-cut de certaines scènes n’offrent que la vision d’une réalité télescopée, nécessaire à la construction et à l’évolution du protagoniste, mais finalement assez artificielle. Le film retrouve une justesse et un équilibre lorsque l’homme tente de renouer avec ce qui lui échappe : l’altérité, les tentations et tentatives avortées d’un dialogue impossible.
On pourrait à l’évidence soulever les maladresses de cette première œuvre : face à l’épicentre Walter, les personnages secondaires font un peu pâle figure et restent, pour certains, à l’état d’ébauche. Ils n’ont pas de réelle autonomie, en dehors de leur lien avec le personnage central. Ils gravitent autour de lui et s’affichent comme les morceaux de puzzle d’une vie à reconstruire. La prolifération d’individus blessés, aux prises avec un passé douloureux peut agacer, tout comme certaines facilités de mise en scène : une scène de kidnapping est commentée en voix-off comme un match de foot. Mais au milieu de ces défaillances, The Woodsman offre quelques belles séquences et par-dessus tout, une performance envoûtante d’un Kevin Bacon littéralement habité par son personnage.
Aventureuse mais cinéphile avertie, Nicole Kassell cite ses références : le réalisme psychologique de Milos Forman (dans Vol au-dessus d’un nid de coucou), les films de Sam Peckinpah, de manière plus lointaine, le M de Fritz Lang. Mais là où le grand Fritz confrontait le meurtrier d’enfants à la foule, en un jugement ultime, le film de Kassell reste et s’attarde sur son personnage, sans parti pris, sans réponse. C’est sans doute ce qui constitue à la fois la force et la faiblesse du film.