Tamasa Distribution ressort Tiempo de Morir, premier long-métrage d’Arturo Ripstein, réalisé en 1965. Le metteur en scène mexicain est alors âgé de seulement vingt-et-un ans, mais il a déjà une riche expérience du cinéma puisqu’il a notamment assisté Luis Buñuel sur le tournage de L’Ange exterminateur (1962). Si Tiempo de Morir doit beaucoup à l’intelligence du script écrit par le romancier Gabriel García Márquez, la fluidité classique de sa réalisation est à mettre sur le compte de Ripstein, qui fait montre ici d’une maturité impressionnante. C’est donc une excellente nouvelle que ce western méconnu bénéficie d’une réédition en copie restaurée : l’année cinématographique démarre sous les meilleurs auspices.
D’emblée, la mise en scène d’Arturo Ripstein affiche une placidité classique des plus remarquables. En citant explicitement le dernier plan de La Prisonnière du désert (John Ford, 1956) dans le générique d’ouverture de Tiempo de Morir, le cinéaste manifeste son ambition de marcher dans les pas des maîtres de l’Âge d’or hollywoodien. Si c’est bien le trajet que suit la réalisation, elle s’y aventure en empruntant des voies surprenantes, en s’appropriant les hantises secrètes des chefs-d’œuvre qu’elle invoque, plutôt qu’en se réfugiant derrière les lieux communs du genre (soit, ici, le western). Du film de John Ford, Ripstein retient avant tout la mélancolie et la réflexion sur le temps perdu, en égrenant les signes de la déchéance du héros : la fenêtre grillagée derrière laquelle il est filmé dans le décadrage inaugural, la croix plantée dans le sable, qui apparaît à deux moments décisifs, les plans de la ville désertée sont autant d’indices de la décadence d’un monde en proie au chaos. Ce symbolisme funeste préfigure évidemment la fin tragique de Sayago, tout en marquant la forme d’immobilisme pesant dont Tiempo de Morir est empreint : les retrouvailles avec les amis, puis avec la femme aimée font entendre à Sayago le même refrain menaçant. Parce qu’il est en danger de mort, il doit quitter l’endroit au plus vite : les deux fils de Trueba, le truand qu’il a abattu en duel dix-huit ans plus tôt, fomentent en effet une vengeance. Le parcours de Juan Sayago semble donc tout tracé : il s’agira pour lui de reprendre le cours – interrompu pendant dix huit-ans – de sa vie, tout en ayant conscience que son destin peut le rattraper à tout moment.
Pourtant, l’aspect rectiligne de la trajectoire classique du héros ne constitue pas pour Ripstein une fin en soi. Elle dessine plutôt un cadre narratif général dont la limpidité apparente permet au réalisateur d’explorer, de façon plus souterraine, les failles psychologiques de ses personnages. À cet égard, le film repose moins sur les ressorts d’une action héroïque, que sur la tension sourde de scènes d’intérieur, où suintent les regrets, le remords et l’angoisse de la mort. De Sayago lui-même à son vieil ami impotent et amer, en passant par la nostalgique Mariana, les portraits de personnages désabusés se succèdent, dans une oscillation entre désenchantement et résignation. Cependant, loin d’afficher un sérieux papal, Tiempo de Morir n’est pas avare en instants au comique parfois absurde, souvent très sombre. Les moments où Ripstein met en scène la mesquinerie dans la vengeance de l’aîné des Trueba, Julian, sont à ce titre parmi les plus réussis du film. Ainsi, lorsqu’il filme Julian fonçant à cheval sur Sayago dans les rues désertes de la ville, jetant du sang de porc à la figure du vieil homme, déposant une carcasse de chien sur le pas de sa porte, ou encore mettant à sac sa demeure déjà en ruines, Ripstein fait ressortir la bêtise crasse du personnage qui, par ses actes, hypothèque involontairement la pérennité de la légende paternelle. La question de la paternité, justement, permet à Ripstein de faire converger son aspiration à retrouver une mythologie hollywoodienne classique et sa tendance à la galerie de portraits. Le rapport différencié des deux frères à la figure du père est ainsi le moyen d’un rapprochement affectif entre Pedro, le cadet réticent à la vengeance (à l’inverse de son aîné) et Juan Sayago : chacun admire en l’autre une forme de noblesse d’âme, qui semble un temps les abstraire de la déliquescence ambiante. Le lien œdipien qui s’établit entre Juan et Pedro est dès lors l’occasion pour Ripstein, dans le dernier mouvement de Tiempo de Morir, d’explorer le film qui s’inscrivait en creux dans La Rivière rouge, d’Howard Hawks (1948) : le récit d’une quête viscérale de la paternité et de la descendance, également nimbé d’un noir et blanc des plus arides.
La sécheresse paroxysmique de l’épilogue conclut admirablement ce film abrupt et rocailleux, dont la maîtrise classique constitue une véritable leçon de mise en scène.