« Horriblement conventionnelles » : c’est par ces mots que Tove Jansson qualifie les sculptures de son père au début de Tove. Adressée avec le sourire, cette critique acerbe révèle du même coup l’enjeu principal du film de Zaida Bergroth, racontant la quête d’émancipation de la créatrice des célèbres Moomins — de petits trolls ressemblant à des hippopotames. Retraçant ses années d’activité pendant l’après-guerre, le biopic s’articule autour d’une double quête identitaire. Artistique d’abord, puisque Tove est tiraillée entre ses deux aspirations : d’un côté, la peinture (voie que son père lui intime de poursuivre), et de l’autre les histoires pour enfants dont elle griffonne les illustrations à l’abri des regards. Sentimentale ensuite, puisqu’elle mène tambour battant deux histoires d’amour. Zaida Bergroth fait d’ailleurs le choix de passer sous silence des pans entiers de son récit d’apprentissage pour se focaliser précisément sur les épisodes de la vie sentimentale de l’artiste, au prix d’inégales scènes de discussions. Si elles peuvent surprendre de prime abord, les considérations que Tove partage avec Vivica et Atos, ses deux partenaires, finissent en effet par perdre en profondeur et en singularité à force de répétition.
C’est lorsqu’il se concentre sur le corps de son personnage principal que Tove parvient un peu à émouvoir. Outre quelques scènes érotiques, le film multiplie les séquences où le personnage danse, son visage radieux cadré en gros plan par une caméra frénétique, comme si ses mouvements désarticulés lui permettaient de prendre soudain conscience de sa propre enveloppe. Des coupures soudaines viennent toutefois révéler la fragilité de ces instants en suspension : au tout début, Tove gesticule dans son salon avant qu’un raccord ne bascule brusquement sur son visage inquiet, dans un abri souterrain où résonnent les bombardements. Le nez sur sa feuille, elle est plongée dans l’esquisse de la première histoire des Moomins, comme un précaire refuge à la brutalité de l’humanité. Il est donc d’autant plus regrettable que le film, jouant trop ostensiblement sur les tremblements de la caméra-épaule et le grain de la pellicule, s’éloigne vite, passées ces scènes de lâcher-prise, de l’originalité revendiquée de son héroïne excentrique.