Présent à Cannes en 2011 dans la sélection « Un certain regard », Trabalhar Cansa, premier long métrage du couple Rojas-Dutra, sacrifie le déploiement d’une intrigue au profit d’une hybridation pesante des conventions génériques. Sur l’inversion de l’équilibre d’un couple que provoque le licenciement de l’homme et la réalisation entrepreneuriale de la femme se plaque la collection complète des signes les plus usités du cinéma fantastique. Résulte de ce mélange sans âme une métaphorisation du travail animalisant aussi vaine qu’énervante. Attention, film à message, et un seul.
Ouverture : levée de volet, un clignotement inquiétant ; une odeur nauséabonde, des cafards morts ; un enfant mutique jumeau de celui de Shining ; une tache sur le mur ; une poupée forcément, Chucky c’est tellement flippant ; une masse énigmatique ; une dent qui tombe ; un ancien locataire inquiétant ; un chien peu commode et la tache grossit. Une dent trouvée ; on dissimule la tache, la tache grandit ; l’odeur persiste et fait fuir les clients ; puis du coulis noir comme de l’encre ; un entrelacs d’asticots et de cheveux ; un coup de vent, un père noël électrique ; électricité coupée ; des chiens déchaînés ; une averse antédiluvienne, une vitre qui casse ; encore et encore, la tache grossit ; une visite au musée des horreurs : la taxidermie, ça fait peur ; un coup de masse, le mur s’ouvre ; un squelette lycanthropique ; grand feu dans la forêt. Fondu au noir, générique.
C’est à peu près dans cet ordre que le film procède à une énumération incroyablement lassante de signes probablement picorés par les réalisateurs dans tout ce que le cinéma fantastique a sédimenté de plus convenu. Leur « grande trouvaille », c’est de s’être efforcé de placer le fantastique, dont les conventions sont d’ordinaires acceptées par leurs insertions dans un contexte irréaliste, dans du réalisme à peu près social. Dans un Brésil à la croissance bien souvent idéalisée et aux structures machistes persistantes, un homme licencié (Otávio) alors que sa conjointe (Helena) parvient à ouvrir une supérette, ça fait tache. Ce double acte fondateur assez futé permet au film d’inverser la distribution fonctionnelle dans le couple ce qui ne manque pas de bouleverser tout autant les habitudes de chacun que l’équilibre amoureux. Et c’est comme pour sauver ce qui lui reste d’une certaine idée de la virilité que lui, entre deux entretiens d’embauche, tient encore à faire les comptes : « ne t’inquiète pas, je paierai. » Elle ne s’inquiète pas, et même en dépression, elle gère. Car alors qu’Otávio découvre les charmes de l’inertie au foyer, Helena s’active en caricature du volontarisme en préparant l’ouverture de son nouveau lieu de travail comme une table avant l’heure du dîner.
Seulement voilà : le lieu est piégé d’horreurs (que le film met toute sa durée à péniblement exhumer) et la vulgate libérale comporte une contrepartie subjective faite de méfiance visuelle et d’intransigeances envers le personnel que Helena, redoutant des vols, surveille de très près. Transférant notre attention des protagonistes au seul lieu de la supérette transformée en foutoir à horreurs, les réalisateurs se condamnent à fusiller leur meilleure intention : étudier « les rapports entre le sujet et ses propres éléments morbides ». De ces derniers, ils n’en retiennent qu’une matérialisation souvent cousue de fil blanc en distillant à rythme égal les éléments surnaturels cités plus haut. Un défilé d’attendues étrangetés où chaque nouveau venu n’annonce rien d’autre que sa reprise accentuée (la tache qui grossit sur le mur), une répétition dans une variation inutile (la bile noire qui sourd du sol) ou une différence sans lien aucun avec le reste de cette addition de signes que le film se décervelle à mettre en place (le père noël électrique qui s’active seul au bout milieu de la nuit).
Or, puisque cet ensemble d’indices n’annonce rien d’autre que lui-même, le spectateur est poussé à le lire comme une métaphore éculée du lieu-symbole de l’intériorité psychique qu’un personnage passe tout le film à tenter de déchiffrer sans vraiment y parvenir. Et le titre qui apparaît dès le début (littéralement « travailler fatigue ») force d’emblée notre interprétation quand la dernière scène, lorsque un coach motive des troupes de chômeurs à revenir à leurs origines simiesques afin de survivre dans le marché du travail, nous assomme (et sans masse). Le film ne prenant surtout pas la peine de la distinction, cette origine animale mythique fonctionne à la fois comme moteur et résultante des conditions de « travail » : alors que le travail animalise ses agents, pour survivre, ces derniers se voient obligés de s’animaliser. Joli cercle.
Mais à rabattre ainsi le tissu relationnel du travail sur un soc bestial proprement fantasmatique, le film se condamne à ne pas cerner ses spécificités relationnelles les plus perçantes : les rapports hiérarchiques entre employés-employeurs ; les détails d’une mise en concurrence (pourtant esquissés ça et là sur le mode du conflit intérieur) ; le fondement imaginaire de la posture sociale, etc. Bref, tout ce que les micro-pouvoirs ont entretenu de plus détestable et dont l’émergence ne doit vraiment rien au loup-garou.