Présenté à la Semaine de la Critique, le film libanais Tramontane fait le récit de la quête identitaire d’un jeune chanteur aveugle, qui, découvrant qu’il est détenteur de faux papiers, parcourt le pays à la recherche de quelqu’un qui pourrait lui dire qui sont ses parents, et quelle est son histoire. Les secrets de famille qu’il tente de débusquer témoignent d’un discours impossible sur les conflits militaires qui ont traversé le Liban et le silence nécessaire à toute reconstruction nationale. Sans grand défaut formel mais d’un didactisme raide, Tramontane peine à dépasser son sujet et à incarner de véritables enjeux dramatiques et psychologiques autour de son héros. La métaphore que tire le film, celle d’un pays qui cherche sa place dans une histoire meurtrie, est bien trop simple et artificiellement incarnée pour laisser vivre le personnage qui a la lourde responsabilité de la porter.
Rashômon libanais
L’idée d’aborder une histoire personnelle, et au-delà une histoire géopolitique, à travers le récit semi fictionnel qu’en rapportent les témoins reste l’idée centrale forte du film, inscrite dans une généalogie cinématographique évidente (dont Rashômon et Citizen Kane sont les figures tutélaires). Hélas, faute d’enjeux dramatique structurant, le scénario se perd dans une simple succession de scènes sans force ni conséquence au cours desquelles Rabih découvre puis interroge un à un les potentiels de l’histoire cachée. De manière sous-jacente, le besoin de papiers pour partir en tournée en Europe constitue l’horizon matériel du sujet, et la réconciliation mère-fils l’horizon psychologique de la quête. Mais la faiblesse de l’enracinement de ces enjeux au début du film en réduit irrémédiablement la portée.
Film aveugle
On comprend surtout mal le choix de développer un personnage aveugle avec une mise en scène qui n’utilise absolument pas les propriétés de ce handicap et dans un scénario trop métaphoriquement littéral. La vue de l’espace et des choses est entièrement donnée au spectateur et quelques scènes essaient timidement de jouer avec le travail du son, pour faire ressortir des situations d’angoisse ou d’errance, notamment une scène assez réussie qui met en avant, par le bruit du vent (la tramontane) dans les arbres d’une vallée aride, le silence habité des lieux inaptes à livrer leur histoire à ceux qui l’interrogent.
Si le chanteur aveugle peut être une référence évidente à Homère, rien dans le film ne porte une telle comparaison tant le héros n’est vecteur d’aucun récit particulier. Au mieux, il constituerait une sorte d’anti-Homère, conteur moderne d’un mal être identitaire subi plutôt qu’organisateur du sens et de la mémoire : chanteur traditionnel et violoniste brillant, il est l’interprète d’une musique ancestrale et mélancolique dont il comprend peu à peu le sens. La dernière séquence du film, une scène de concert, montre la poignante interprétation d’un morceau chanté dans la douleur, presque crié, et désormais porteur d’un sens très personnel. On comprend dès lors qu’au-delà de sa métaphore politique, Tramontane fait aussi le récit d’un apprentissage artistique.