Mais quelle mouche a bien pu piquer Brigitte Roüan ? À première vue, le générique de Travaux, on sait quand ça commence… a de quoi surprendre : aux côtés de Carole Bouquet, on retrouve entre autres Jean-Pierre Castaldi et Aldo Maccione… La réalisatrice (on lui doit notamment le très joli Post Coïtum Animal Triste), également comédienne et scénariste, nous avait habitués à un cinéma de qualité, relativement inventif. La présence dans le film d’un people relégué à la télé-réalité et du macho italien le plus ringard de la planète donne plutôt envie de prendre les jambes à son cou.
Visiblement, surprendre, c’est une chose que Brigitte Roüan affectionne tout particulièrement. Pas du genre à enfermer les gens dans des cases, elle a réuni un casting à l’image de son film : barré et bigarré, tour à tour grave et drôle, léger et profond. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça marche. Dès les premières images, qui montrent une Carole Bouquet avocate danser et s’envoler dans un tribunal lors d’une plaidoirie, un vent irrésistible d’inattendu et de folie s’empare du film pour l’emmener dans des endroits que les comédies populaires françaises n’explorent que rarement.
Travaux… raconte l’histoire de Chantal, bobo quarantenaire et célibataire, mère de deux ados, avocate redoutable et propriétaire d’un grand appartement parisien. Le credo de Chantal, c’est son engagement auprès des sans-papiers : infatigable chevalier à la rescousse des plus démunis, elle défend les droits de ceux qui n’ont plus rien. Mais derrière l’idéaliste se cache une femme seule, et quand un amant de passage se fait trop envahissant, quitte à s’installer de force chez elle, elle prétexte des travaux pour s’en débarrasser. Trop heureux de lui rendre service à son tour, un jeune architecte colombien se propose de mener le chantier. Et les galères commencent…
La force de Travaux…, c’est surtout et avant tout son actrice principale. En avocate au bord de la crise de nerfs, Carole Bouquet est une vraie révélation dans un registre comique que l’on ne lui soupçonnait pas. Le contraste entre sa célèbre plastique, son air un peu distant et froid, et l’énergie un brin hystérique qu’elle dégage ici est un délice. La caméra de Brigitte Roüan, visiblement sous le charme, l’accompagne dans ses moindres mouvements, dans un souci constant de fluidité et d’élégance, particulièrement dans les nombreuses scènes de danse et de chant, quelques-unes des nombreuses surprises de ce film pétillant comme une coupe de champagne.
Si on pense parfois, grâce à l’interprétation de Carole Bouquet, aux screwball comedies des années 1940 avec Katharine Hepburn, Brigitte Roüan a la bonne idée d’ancrer ses situations farfelues dans un contexte social très défini (les ouvriers clandestins) et pose une question intéressante : que se passe-t-il quand une bourgeoise aux grands idéaux est forcée d’employer, voire de cohabiter, avec ceux-là même qu’elle défend ? Interrogation pas très politiquement correcte qui évite les excès de naïveté des comédies sociales de Coline Serreau grâce un sens certain de l’autodérision, pimenté par de nombreuses escapades oniriques : on pense aux films de Jacques Demy ou au Woody Allen de Tout le monde dit I Love You pour les passages chantés et dansés et même à Mary Poppins quand, au beau milieu d’une scène, Carole Bouquet fait voler les objets autour d’elle !
Travaux… n’est pas exempt de défauts. Brigitte Roüan ne fait pas toujours dans la dentelle : certains gags sont vraiment lourdingues, et la présence de Jean-Pierre Castaldi et Aldo Maccione au générique sent un peu le contre-emploi opportuniste (même si le premier s’acquitte fort bien de son rôle plutôt hilarant d’amant collant et libidineux). La satire sociale, réussie dans l’ensemble, est quelquefois facile : confronter la classe naturelle de Carole Bouquet aux torses velus des ouvriers clandestins, ça fait rire deux secondes. La réalisatrice a l’air également plus à l’aise avec un stylo qu’avec une caméra. Si les dialogues sont impeccables et la mise en scène agréablement virevoltante quand le film se fait comédie musicale, elle devient terriblement statique dans la plupart des scènes de confrontation. Mais après tout, qu’importe ! Travaux, on sait quand ça commence… est à l’image de sa pirouette finale : une pochette surprise un peu cheap mais dont les friandises se dégustent avec enthousiasme.