Suite à une boutade de l’un de ses fils, Brigitte Roüan a décidé d’enquêter auprès d’une trentaine d’hommes sur leurs rapports avec leur mère. Elle en tire une fiction allégorique sur une mère « plus fatigante que fatiguée », incapable de couper le cordon avec ses quatre grands garçons. Sur fond de tragédie antique et d’île grecque idyllique, ce portrait de famille démontre que les relations des mères à leur progéniture n’ont pas changé depuis Œdipe.
La tradition familiale veut que Jo (Nicole Garcia) organise chaque année un festival de théâtre sur une île grecque, trouvant là l’occasion de réunir autour d’elle ses quatre fils et leur descendance. Or, cette année, le maire, voyant sa commune frappée par la crise, a utilisé la subvention française dévolue aux représentations et à l’hébergement de la troupe pour la rénovation du tout-à-l’égout. Si Brigitte Roüan évoque la crise financière, elle ne s’en sert que de prétexte scénaristique en reprenant à son compte la formule de Godard : « ce n’est pas la Grèce qui a une dette envers nous, c’est nous qui avons une dette suprême envers la Grèce ». Faisant passer la réalité documentaire derrière la dimension mythologique, la cinéaste utilise son décor idyllique pour plonger sa famille de fiction dans une dimension allégorique. Les relations entre Français et Grecs sont reléguées au second plan pour laisser place aux rapports familiaux, mère/fils en tête. Jo décide de squatter une maison de vacances inoccupée et de mentir à sa progéniture pour la (sa) bonne cause : passer quelques jours de vacances tous ensemble.
Depuis l’animation du générique, qui voit quatre nouveaux nés expulsés d’un ventre proéminent, jusqu’au moment où Jo décide de quitter l’île, les relations mères/fils prennent souvent des teintes incestueuses. Chaque soir, Fabien, le second fils de Jo, porte hors de son lit son propre enfant endormi à sa place. Un autre ne cesse d’ironiser sur l’allaitement prodigué à son fils. L’une des mères s’inquiète de voir son fils perdre son pucelage pendant l’été, puis se désole qu’il ne s’en défasse pas si facilement. Famille allégorique, la tribu de Jo l’est bien, dans tous ses agissements et dans cette relation revendiquée à la mythologie grecque : comme Œdipe sur le mont Cithéron, le bébé de la tribu se brûle au soleil ; rappelant l’étymologie du nom du fils de Laïos et Jocaste, « pieds enflés », l’aîné de Jo, Pierre, se blesse le pied. Allégorique encore dans les visions de la mère qui s’imagine volant majestueusement dans les airs, tirée par un attelage de quatre chevaux, ou le rôle d’oracle joué par la grand-mère (Emmanuelle Riva), qui déambule en proférant que ça va mal finir. Elle l’est au point que le discours générique sur les relations familiales prend le pas sur le portrait d’une tribu particulière à laquelle on ne s’attache pas vraiment.
Au-delà du propos sur l’amour cannibale des mères pour leur fils, Brigitte Roüan cherche aussi à montrer l’énergie de Jo, femme torpille qui se démène autant pour se mêler de la vie privée de chacun de ses enfants que pour mener à bien son projet culturel. Mais la direction d’acteur toujours tournée vers le climax se transforme en agitation vaine. Les personnages courent sans arrêt, entrant et sortant du cadre comme dans une course de relais ; les situations dramatiques s’enchaînent les unes après les autres, sans répit, ce qui donne un tour uniformément énervé à l’ensemble du film. L’absence de temps mort du montage finit par créer une absence de rythme.
L’aîné qui joue le rôle du petit mari, le second, toujours au chômage, le troisième dont les calembours à la chaîne tombent tous à plat, et le dernier, fils prodigue engagé dans l’armée : les quatre enfants jouent tous des stéréotypes qui sclérosent un peu le récit. D’autant plus que le scénario s’enferme dans des private jokes censées incarner la complicité de la tribu (l’aîné des fils se voit traité de « premier de cordon »), mais qui ne font qu’en exclure le spectateur. Les acteurs ont du mal à s’approprier des dialogues qui semblent trop loin d’eux, et l’usage de bons mots ou d’éléments du langage estampillés « jeune » tombent à plat faute de rythme. À l’idée émise par l’un des petits-fils de donner à entendre lors du spectacle familial du rap grec, tous les personnages répondent « c’est frais » sur un ton dénué de naturel. Alors que Brigitte Roüan semble chercher à nous faire partager une famille que la complicité et les querelles rendent universelles, on se sent exclu par l’un et par l’autre. La représentation du spectacle dans un amphithéâtre en plein air est menée par la dernière génération, et a tout d’un spectacle de famille dans le cadre d’un film de vacances par lequel on a du mal à se sentir concerné.