Akiva Goldsman est un symbole : celui du pire dont est capable l’industrie hollywoodienne au rayon de l’académisme boursouflé et sans âme. Scénariste et producteur, il contribue depuis vingt ans aux destinées de fiers fleurons de cette catégorie, du plus au moins prestigieux, mais toujours si arrimés à ses recettes de rentabilité qu’ils ignorent avec aplomb et sérieux les limites de l’ineptie qu’ils franchissent (les inénarrables Batman de Joel Schumacher, les non moins inénarrables adaptations de Dan Brown réalisées par Ron Howard, l’oscarisé Un homme d’exception…). S’étant fait la main de réalisateur sur une poignée d’épisodes de Fringe, il met ici en boîte son premier long-métrage, et le moins qu’on puisse dire que celui-ci ne faillit en rien à l’image de son auteur, si persuadé d’accomplir son programme avec soin — adapter un roman à succès de Mark Helprin — qu’il en reste à un premier degré lourdaud tel qu’on n’en avait plus vu depuis les années 1990, dans la section « nanar de fantasy intersidéral » (justement, ça parle d’étoiles).
Soit, dans le New York des années 1910, un voleur au grand cœur (Colin Farrell) poursuivi par son mentor (Russell Crowe) d’autant moins sympa qu’il est doté de pouvoirs démoniaques, et qui doit sa survie à sa rencontre avec un cheval surnaturel. Celui-ci le mène jusqu’à la demeure d’une jeune fille de bonne famille (Jessica Brown Findlay, de la série Downton Abbey), jolie mais frappée de tuberculose et à l’article de la mort, dont il tombe amoureux, sans savoir qu’il s’implique ainsi un peu plus dans la sempiternelle lutte — la vraie, au premier degré — entre les forces du Bien et du Mal. Comme on pouvait le prévoir, Goldsman ne propose rien du bien et du mal au-delà du symbolisme le plus éculé, aussi son Winter’s Tale s’avance-t-il comme le vend son titre : un conte maniant des allégories faciles à comprendre (anges, démons, le cheval de Farrell est blanc, celui de Crowe est noir, etc.) dans un passé mythifié avec la neige new-yorkaise comme décor séduisant, que ce soit dans les rues de la cité ou les plus charmantes maisons de banlieue.
Tout ce qui brille…
L’ennui est que même comme conte, le film donne plutôt envie de se cacher sous la couette, tant sa conception du merveilleux et de l’enchantement relève du nappage industriel ad nauseam. Nappage photographique d’abord, Goldsman s’appuyant pesamment sur les ressources de son chef-opérateur (Caleb Deschanel) pour souligner le moindre soupçon de magie de son récit par un effet de lumière. Reflets sur des pierres précieuses, lens flares, surbrillances d’étoiles, halos, etc. — le moindre photon lumineux semble aux aguets pour maintenir en permanence la bête équation : une manifestation surnaturelle égale un effet éclatant. Et le festival devient du son et lumière quand on y ajoute le nappage sonore : Hans Zimmer et ses comparses ont été convoqués pour combler le moindre blanc de partitions sirupeuses s’appliquant à rendre les vagues notions de romantisme et de grands sentiments aussi envahissantes que possible, comme pour empêcher à tout prix le spectateur de s’en imprégner de lui-même.
Nappage, surtout, parce qu’au-delà de cette sur-signification trop forcenée pour être honnête, au-delà de cette couche épaisse de lumière et de son, on ne découvre que le néant — ou tout comme : une absence déprimante d’incarnation et capacité réelle à stimuler l’imagination. Attelés avec sérieux à leur tâche, scénariste-réalisateur, techniciens et acteurs ont oublié qu’il ne suffit pas d’illustrer le fantastique pour que celui-ci nous transporte : il faut mettre un minimum de croyance dans ce pouvoir-là du récit fantastique, dépassant la joliesse de l’image et du son — croyance que de toute évidence les artisans à l’œuvre n’ont pas. Le manque d’entrain des comédiens est un triste indice de ce peu de foi. Il y a le pauvre Farrell qui fait ce qu’il peut, mais qui se trouve un peu court dans l’archétype double de l’amoureux transi et du roublard dépassé par les événements au-delà de son entendement. Il y a Crowe, visiblement le seul à avoir saisi toute la vanité de l’entreprise, vu comment il s’ébroue dans des trésors de cabotinage. Et il y a tous les autres, pris dans leur impératif de sérieux, plus ou moins dignes à leur tâche (d’un côté un William Hurt fiable comme souvent, de l’autre un improbable Will Smith dans le rôle de Lucifer, inapte à susciter autre chose que des ricanements sans que ce soit le but), tentant de sauver du naufrage un bâtiment qui ne fait cependant qu’appeler les abysses.