Rappelons pour les personnes qui auraient vécu dans un hangar à bestiaux pendant deux ans que le film de Ron Howard est adapté d’un roman de Dan Brown, le Da Vinci Code, qui raconte l’histoire fantasmatique d’une fliquette française et d’un historien américain, Sophie Neveu et Robert Langdon, partant à la recherche du Graal. Rien que cela ! me direz-vous… Entre absence totale de mise en scène, et fadeur quasiment grotesque des acteurs, il ne reste qu’à décortiquer l’intrigue. Mais en plus d’être inexistante sur le plan dramatique, elle se révèle des plus anodines du point de vue idéologique.
Une spécialiste de cryptologie à la SRPJ de Paris rencontre un historien des symboles à l’occasion du meurtre de Saulnière. De tableaux en tableaux, ils découvrent tous deux des détails en forme d’indices dans les œuvres de Léonard de Vinci pour retrouver le fameux Graal, pas la coupe, mais bien la preuve de l’existence d’une lignée descendant du Christ par Marie-Madeleine. Bon…
Ron Howard semble avoir décidé dès le départ de ne pas nouer d’intrigue. Il est si peu préoccupé par la formation d’une logique scénaristique qu’il nous livre en pâture une longue (très longue) suite de scènes aux dialogues assez pitoyables (ponctués en permanence de « Mais c’est pas possible ! » ou « Ce serait donc… », grands classiques du film sans écriture), sans créer aucun rebondissement permettant de tenir le spectateur en haleine. Ron Howard n’a vraisemblablement pas révisé ses classiques : pensons notamment au Dossier secret d’Orson Welles, modèle de suspense et de tension haletante jusqu’au dénouement.
Da Vinci Code n’a pas la moindre construction narrative : le spectateur est ici considéré comme un consommateur crédule qui doit comprendre divers stimuli universels à base de gros plans démonstratifs et de musique lénifiante. On s’ennuie, on n’y croit pas, on rit à gorge déployée lorsque l’on entend qu’Audrey Tautou descend du Christ : aucun ton n’étant donné, on le choisit du côté du ridicule.
Le casting, comme souvent dans les grosses productions ‑c’est dire l’importance des qualités cinématographiques que l’on attend dès l’origine- a été au centre des discussions : il est raté, lui aussi. Audrey Tautou minaude à outrance avec son petit sourire fort charmant dans les comédies de Tonie Marshall (et son accent car aucun des Français n’a visiblement pris de cours de diction, ce qui pourrait être une trouvaille comique) mais qui devient grotesque dans un film « de suspense ». Incapable de donner la moindre ampleur à un rôle qui n’en a, certes, pas beaucoup, elle suit Tom Hanks qui n’a probablement jamais été aussi caricatural dans le froncement de sourcils et la mine déconfite. Tout le monde souligne à grands traits des émotions et des sentiments factices.
Le vide de ce film tient donc à son ensemble : un manque d’imagination caractérisé, une histoire approximative et des acteurs en manque de direction. Tous les espaces utilisés comme le Louvre ou l’Église Saint-Sulpice ‑une piste pour le budget, elle a été rénovée l’année dernière, peut-être qu’une partie de l’argent du film a été versée au conseil économique chargé de la réfection des monuments de la Mairie de Paris- sont filmés comme les topiques touristiques qu’ils sont. L’exemple du Louvre est significatif. Au lieu de faire des grandes galeries interminables du musée des espaces cinématographiques dont la démesure et la beauté seraient les pivots du drame, on nous montre des cartes postales : on voit donc la Pyramide de nuit, le Serment des Horaces et la Victoire de Samothrace. Aucun jeu de lumière, aucun angle inattendu, du néant à l’état brut.
Il est toujours difficile de trouver le mot juste pour décrire un tel objet : ceux de nullité absolue ou d’échec consternant conviennent. Un fantasme historique, pourquoi pas ? Da Vinci Code ne s’adresse pas à des spécialistes d’histoire des religions. Mais lorsque l’on ne sait pas que le Prieuré de Sion, ici une secte créée par les Templiers pour retrouver le Graal, est une association gaguesque de trois allumés d’extrême-droite dans les années 1950 ; lorsqu’on ne sait pas que la théorie selon laquelle Marie-Madeleine aurait été mariée et enceinte du Christ a été totalement invalidée par les historiens ; lorsqu’on n’attend pas de vérité historique mais qu’on est tout de même prêt à croire le temps d’un film à cette histoire, que ressort-il du Da Vinci Code ?
Plus qu’un film, il s’agit d’une machine strictement financière sans aucun intérêt artistique, qui possède cependant le goût amer de vieilles obsessions : celles du complot et de la manipulation universelle de tous ces puissants qui nous cachent le secret ultime, celui qui touche au divin. Même pas peur…