Sztuczki est le nom original de ce film polonais, auréolé d’un joli succès d’estime dans son pays et primé un peu partout en Europe. Signification littérale : tour de passe-passe. Le film s’amuse du destin en le courbant, en le façonnant selon les désirs d’un enfant espiègle et débrouillard. Fraîcheur et tendresse sont au rendez-vous pour ce film qui sait installer son récit sans précipitation mais sans marquer durablement les esprits.
Jakimowski s’immisce sans faire de bruit sur la liste des jeunes réalisateurs d’Europe de l’Est à suivre. Pas véhément pour un sou, il préfère s’intéresser à l’individu et à ses tourments qu’aux grandes questions plus frontales et polémiques comme le font Piotr Trzaskalski ou Przemysław Wojcieszek (avec notamment, le très intense Plus fort que les bombes). On est ici dans la pure poésie des émotions et de l’affect, sans mièvrerie superflue mais aussi sans véritable conscience politique ou sociale.
Stefek est un petit garçon de dix ans, élevé par sa mère et surtout sa grande sœur de dix-sept ans Elka, cette dernière assumant le rôle symbolique du père absent. C’est ce chaînon manquant que Stefek cherche et croit reconnaître à chaque coin de rue. Il pense un beau jour vraiment l’avoir retrouvé : sur le quai d’une gare, un homme attend un train et éveille sa curiosité. Difficile de faire le rapprochement avec la vieille photographie que Stefek cache dans sa poche, gribouillée et trouée, mais pour lui, pas de doute. Il en informe sa sœur, trop absorbée par ses entretiens d’embauche pour y accorder la moindre importance. Alors, Stefek va tenter de forcer le destin pour provoquer le retour du père potentiel.
C’est dans les petites manigances du garçon que réside toute la sensibilité ingénue du film. Dans le décor primordial de la gare, lieu de tous les possibles et de l’infinité des choix, Stefek lance des pièces sur les voies. Comme un pari lancé au destin et suivant la théorie des dominos, ces petits gestes innocents vont provoquer des enchaînements inattendus qui rapprochent peu à peu le père du foyer familial. Stefek place ses petites figurines de plomb au sol, attend qu’elles tombent par l’action du vent pour constater les dégâts et le sens du hasard. Jakimowski ne croit pas au destin, il le proclame lui-même. Par l’entremise de la fable, il expose sa thèse sur la capacité de l’individu à provoquer la chance, sur sa possibilité à influer sur le cours du monde qui l’entoure. Non pas directement et brutalement — nous sommes dans le cadre du conte métaphorique — mais dans la nuance, sans réellement comprendre à l’avance la finalité des actions entreprises et sans que celles-ci ne dépassent le cadre cloisonné des personnages. En effet, l’idée du film ne semble pas de généraliser jusqu’à l’allégorie politique, comme il en est souvent question dans le nouveau cinéma de l’Est, mais bien de narrer une histoire en dehors des modes. L’absence de référence temporelle est symptomatique de ce désir de ne pas fricoter avec le réel, au point de flirter avec une forme d’autisme quelque peu frustrant.
Éloge de la contemplation, des petits riens et de la quiétude assumée, le film propose son rythme sans forcer à l’adhésion. En découle une sensation de liberté, de promenade au milieu des images et des situations, à l’instar d’une bulle hors du temps, reposante et ludique. Cette virée bucolique est associée à la clarté de la lumière, irradiant l’écran de sa douce affection, toute en retenue. Sans prétention, le film attire la sympathie, ce n’est pas rien. Ce n’est pour autant pas tout et un danger semble guetter le film à plus long terme : une bulle, aussi pétillante soit-elle, finit tôt ou tard par se fendre et disparaître. Dans l’oubli ou l’indifférence polie…