Un printemps à Hong Kong raconte l’histoire d’amour entre Pak et Hoi, deux hommes quinquagénaires, qui ont toujours vécu leur sexualité dans le secret — ils ont une famille, des enfants, et se présentent comme des personnes hétérosexuelles. Les deux hommes approchent de la retraite, et ressentent un désir grandissant de vivre libérés des faux-semblants. La découverte d’une orientation sexuelle n’est donc pas le cœur du film : Pak et Hoi sont âgés, ils connaissent leurs désirs, leur drague est directe et évolue rapidement vers une relation plus sérieuse. Le film s’intéresse à la parole de ces hommes qui recherchent des lieux, des espaces pour vivre sans mensonge. Un printemps à Hong Kong oppose dès lors des scènes de mutisme en milieux hétérosexuels (en famille, où l’on ne peut rien dire) à des scènes de parole libérée au sein de cercles homosexuels.
C’est le cas par exemple des réunions organisées afin de militer pour l’ouverture de maisons de retraite gays, ou bien lors d’un repas au sauna dans lequel Pak et Hoi se rencontrent régulièrement. Ces scènes sont particulièrement touchantes : les personnages se montrent entre eux très prévenants et aimants, les plans se concentrent sur les visages, les caractéristiques physiques des intervenants et leurs tics de parole. Ray Yeung met en scène un groupe concerné par les mêmes problèmes, mais constitué d’individualités et de sensibilités très diverses. C’est là qu’Un Printemps à Hong Kong est le plus réussi, lorsqu’il met en exergue la marginalisation des personnes gays en Asie et leur impossibilité à trouver une place dans l’espace et le discours public. La prise de parole que planifie le petit groupe de militants auquel appartient Hoi constitue en ce sens le véritable enjeu du film : le débat qu’elle suscite jalonne tout le long métrage, et son éventuelle diffusion fait office de conclusion.
Un semblant de poésie
Loin toutefois de figurer la circulation ou l’obstruction de la parole, la mise en scène s’attarde curieusement sur des moments de contemplation. Techniquement réussis, correctement cadrés, mais désespérément plats, ceux-ci rythment le film pour y insuffler un semblant de poésie. Un vent léger passe dans du papier toilette, l’ombre des feuilles d’arbre s’imprime sur les pavés d’un parc, et ainsi de suite, avec à chaque fois un accompagnement musical pour s’assurer de la transmission effective de l’émotion. Ces pauses esthétisantes ne contribuent en rien à l’intrigue ni à l’émergence d’une quelconque émotion (en plus d’accompagner de manière superficielle les scènes de romance) ; elles relèvent au fond d’un remplissage, entre les quelques séquences de dialogues en groupe. Le film ressemble même parfois à une imitation ratée du cinéma de Tsai Ming-liang, comme en témoigne l’utilisation intempestive de la musique, qui range immédiatement Un Printemps à Hong Kong dans la catégorie des mélodrames faciles recouvrant tout d’une surcouche mélodique.
Cet imaginaire stéréotypé pose par ailleurs problème lorsqu’il s’immisce dans les rares scènes de sexe. Alors que Pak et Hoi s’isolent dans un sauna pour coucher ensemble sans subir la pression de leurs proches ou un quelconque jugement moral, Ray Yeung décide de fragmenter les corps par des inserts jusqu’à les déréaliser. Ceux-ci deviennent abstraits, et les deux hommes n’apparaissent plus ensemble à l’écran. Le réalisateur, qui voulait faire exister ses personnages dans l’espace public, en arrive finalement à les faire disparaître.