Comme la plupart des autres festivals, l’édition 2020 des 3 Continents a eu lieu en ligne, pour les professionnels comme pour le public. Si l’on salue l’engagement et la détermination des équipes à maintenir des séances numériques ouvertes à tous, avec la promesse de retrouver les films en salle dès que la situation le permettra, force est de constater que cette édition a pâti, malgré elle, d’une actualité cinématographique réduite, alors que les films les plus prometteurs attendent la reprise des grands festivals pour faire leur première. Cette année, pas non plus de sections parallèles ni de rétrospectives, mais des séances en ligne sur le thème « La Maison et le monde » qui ont réuni les spectateurs à distance (et en grand nombre) autour de quelques films marquants de la décennie passée : Hill Of Freedom de Hong Sang-soo, Kaili Blues de Bi Gan, Les Bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho ou encore le diptyque Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa.
En l’absence de Zero de Kazuhiro Sôda, vainqueur ex-aecquo de la Montgolfière d’or, mais indisponible pour la presse, Moving On de Yoon Dan-bi, l’autre lauréat, s’est imposé comme le film le plus convaincant de la compétition internationale. Ce premier film suit la cohabitation sous le même toit des membres d’une famille issus de trois générations différentes : alors que le grand-père vit là ces derniers instants et que son fils fait faillite, sa fille connaît une crise conjugale et ses petits-enfants perdent peu à peu les illusions de l’enfance. La caméra de la réalisatrice, après quelques digressions inutiles, se concentre sur les deux plus jeunes : Okju, adolescente complexée et en colère contre sa mère qui a quitté le foyer, et son petit frère Dongju, aussi expansif qu’elle est introvertie. La relation qu’ils nouent dans la maison où ils se retrouvent seuls pendant les vacances scolaires, faite de chamailleries et de complicité, les aide à affronter le monde des adultes qui s’effrite autour d’eux. Le décor prend alors des allures de cabane dans les arbres, grâce à un long escalier de bois qui sépare les enfants de leurs parents, ou encore une moustiquaire sous laquelle ils finissent par se blottir tous les deux. Le chagrin final de Okju, incontrôlable, devant la banalité d’un dîner à trois, offre à la sélection sa plus jolie scène.
La nature et les sentiments
Les tentatives documentaires (Las Ranas de Edgardo Castro et The Insomnia Of a Serial Dreamer de Mohamed Soueid) se sont révélées moins fructueuses, la portée politique de leurs sujets (la situation des femmes de détenus en Argentine pour le premier et l’évolution de la société libanaise pour le second) se trouvant quelque peu diluée dans des intrigues secondaires superflues. Les procédés des deux films s’opposent pourtant diamétralement. Edgardo Castro adopte un point de vue distancié et filme ses héroïnes sans commentaire ni voix-off, là où Mohamed Soueid choisit de se placer au centre de son film, quitte à emprunter des chemins fictionnels pour relier des rushes tournés sur quinze années.
On constate d’ailleurs que, durant cette édition, le sentiment a souvent pris le pas sur le politique, y compris dans les films proposés en séances spéciales . Dans des formes parfois hésitantes ou un brin trop sages, la plupart des récits mettaient en lumière une quête intérieure dont les enjeux sociétaux ne constituaient que le sous-texte. Ainsi d’Un printemps à Hong Kong de Ray Yeung, racontant l’histoire d’amour de deux grands-pères, contraints de cacher leur idylle à leurs familles. Le film vaut moins pour sa mise en lumière du sort des homosexuels à Hong Kong, à travers la rencontre de personnages représentant plusieurs générations (les jeunes activistes viennent en aide aux plus vieux, invisibles et sans cesse discriminés), que pour sa dénonciation en creux de la condition féminine. Les épouses, les mères et les filles sont cantonnées à l’espace domestique et semblent être les premières à souffrir de mariages de raisons destinés à dissimuler les préférences réelles des époux, à l’image de la femme de Pak, ne sortant pas de sa cuisine et subissant quotidiennement l’animosité d’un mari qui préfère passer son temps libre au sauna.
Dans Goodbye Mister Wong de Kiyé Simon Luang, ce sont deux récits amoureux qui s’entremêlent, celui de Hugo, venu au bord d’un lac laotien à la recherche de celle qui l’a quitté un an auparavant, et celui de France, convoitée par un promoteur chinois, mais amoureuse de son employé. Épousant le rythme lent de la vie sur la rive, la mise en scène entend tout de même évoquer le passé colonial de la région et la pression économique grandissante du voisin chinois. Si cette lecture semble un peu forcée et les personnages archétypaux, c’est que le réalisateur porte davantage attention au lieu qu’aux êtres eux-mêmes. Dans les plus beaux moments du film, la caméra s’attarde ainsi sur les eaux du lac pour enregistrer tous les bruissements de la nature qui l’environne. Ces scènes sont à l’image de cette édition, captant déjà les frémissements annonciateurs de futures retrouvailles.