« Pour moi, le film raconte ça, ce que New York est devenu ». Cette phrase de Vincent Macaigne, prélevée dans le dossier de presse d’Une histoire américaine, dont il est l’interprète principal, résume assez bien le sentiment du spectateur devant le deuxième « long » d’Armel Hostiou : son portrait de ville vaut mieux que son récit de reconquête amoureuse, qui se présente pourtant comme l’unique enjeu narratif de ce qui n’était au départ qu’un court-métrage. Aurait-il gagné à le rester ? Sans doute pas, à en juger par le tableau assez ressemblant qu’il parvient à brosser, dans les interstices du mélo, de la métropole américaine, chimère aux rêves évaporés.
(Dés)amours new-yorkaises
Soyons clairs : la seule originalité de cette histoire tient dans son exotisme, dans l’« étrangèreté » d’un personnage déambulant dans les rues d’une ville qui n’a que faire de ses peines de cœur. On n’ose imaginer ce que le même scénario, entièrement centré sur un homme obnubilé par une ex qui ne veut clairement plus de lui, aurait donné s’il avait été tourné à Paris. Bien sûr, cette hypothèse est une impasse, dans la mesure où cette obsession amoureuse tire aussi sa dimension pathologique de son inscription géographique : ici, New York, grande oubliée de la distribution, campe une cité cruellement indifférente aux tentatives répétées, mais systématiquement vouées à l’échec, de Vincent de regagner les faveurs de Barbara. À rebours des clichés qui lui collent encore à la peau, elle se dévoile sous son jour le plus antiromantique et désenchanté. La gentrification galopante n’y est certes pas encore venue à bout d’une énergie et d’une créativité peu communes, mais le pragmatisme y est désormais le principe organisateur de toute chose, à commencer par les relations sociales, qu’il fait et défait au gré de leur utilitarisme : il n’y a vraiment qu’un Français un peu paumé pour aller chercher aujourd’hui l’amour aux États-Unis.
« C’était le leitmotiv du film : un type qui montre son téléphone portable aux passants et prend une ville à témoin de son désarroi amoureux », selon Hostiou. Un pied dans chaque pays, Kate Moran, l’actrice américaine la plus en vogue de la place parisienne, joue Barbara en toute connaissance de cause. La détermination de Vincent à la retrouver fait brièvement croire au mystère d’une femme qui se dissipe dès le moment où elle décide de former un couple avec un médecin au statut social rassurant (Murray Bartlett). Ce bellâtre d’une affligeante normalité arriverait presque à rendre sympathique son rival, dont la fixation insurmontable le conduit à faire une aberrante demande en mariage en présence dudit boyfriend. Cette scène tragicomique constitue le point d’orgue d’une insistance qui est le symptôme d’une béance émotionnelle beaucoup plus ancienne, mais dont nous ne saurons heureusement rien. Au risque de s’auto-parodier, Macaigne décline une fois de plus sa persona de loser sentimental malmené par les femmes et la vie. Le refus délibéré de psychologiser Vincent, réduit à un simple bégaiement amoureux, avant qu’il ne s’enferme dans un quasi-mutisme, lui confère une opacité assez fascinante : celle d’un corps étranger à un écosystème où il n’a pas sa place, mais qu’il persiste à parasiter.
Voie sans issue
Sa rédemption s’est pourtant présentée assez tôt, sous les traits de Sofie (Sofie Rimestad), une sympathique chanteuse danoise aux airs de Lena Dunham (le film a été en partie tourné à Greenpoint, quartier de Brooklyn qui est aussi le décor de la série Girls). Comme lui expatriée dans la ville-monde, elle offre à Vincent une voie de sortie, mais la névrose obsessionnelle de ce dernier l’empêche de négocier ce virage. Pas même la visite de son père et de sa sœur ne parviendra à le tirer de la torpeur dans laquelle il s’enfoncera une fois rendu à l’évidence que son amour est à sens unique. La caméra très mobile suit au plus près un parcours en forme d’errance, voire de dérive, et dessine, en creux, une géographie sentimentale du néant. Quatre ans après Rives, où Paris était déjà un personnage à part entière, Armel Hostiou confirme un talent singulier pour s’approprier les espaces urbains et en filmer l’aliénation inhérente. Somme toute très banale, son histoire américaine scintille d’éclats nocturnes qui capturent l’éthos de New York City by night, où le bruissement des conversations de comptoir ne suffira jamais à peupler les solitudes juxtaposées.