« Vuelvo al sur »… « Je reviens vers le sud»… Ce magnifique tango d’Astor Piazzolla pourrait servir de toile de fond au très réussi documentaire de Caroline Neal. Une histoire du tango, ou comment un jeune musicien argentin fait le pari fou de faire renaître les orchestres de tango d’antan. C’est à la découverte de toute la richesse de cette musique et de ceux qui l’ont fait vivre que nous partons avec ce film. Une histoire de tango, de passion et de transmission.
Une histoire du tango, pas l’histoire du tango. C’est bien ce que conte Caroline Neal. Bien trouvé, le titre français de son dernier film traduit la volonté de poser un regard particulier sur le tango, à travers une histoire singulière. Mais le titre original est à la fois plus joli et plus symbolique : Si Sos Brujo – « si tu es sorcier»… Le sorcier-magicien de cette histoire particulière s’appelle Ignacio Varchausky, est un contrebassiste passionné, n’a pas quarante ans. À l’autre bout de la chaîne, Emilio Balcarce, mythique violoniste, bandonéoniste et compositeur, 87 printemps. La baguette magique de l’histoire, c’est la réunion de ces deux générations, clé de la réussite du pari un peu fou d’Ignacio : créer un orchestre-école de tango, sous la houlette des maestros du tango de l’après-guerre. « Quand j’ai commencé ce projet, raconte Ignacio, tout le monde l’a aimé et a dit la même chose : “Tu le feras si sos brujo.” Ça veut dire : “Tu auras besoin d’être sorcier pour le faire”, et c’est parfait, parce que “Si Sos Brujo”, c’est aussi le nom d’un tango célèbre d’Emilio. »
Il ne faut s’attendre avec ce film ni à un documentaire remontant aux origines historique du tango, ni à la danse tango (pour cela, revoyez le magnifique Tango de Carlos Saura). Cette histoire-là du tango est d’une part un voyage dans le son tango, unique au monde, et une histoire de transmission. De vieux musiciens, maîtres dans leur art, se retrouvant comme pour les dernières fois, remontant sur scène comme pour passer le relais… c’est Buena Vista Social Club ! Inévitable, l’analogie avec le film de Wim Wenders (1999) n’enlève pour autant rien à la personnalité et à la réussite d’Une histoire du tango. S’effaçant presque, comme par respect, comme pour leur laisser la place, comme pour mieux donner la vedette à la musique, derrière Emilio Balcarce et les autres vieux musiciens, la caméra de Caroline Neal peut laisser s’épanouir le bandonéon. Proche des mains, des souffles, des expressions des visages, des mouvements des archets, silencieuse et fluide, cette caméra choisit le meilleur cadre pour transmettre cette musique qui se vit. Musique et danse populaire, issue des danses des esclaves noirs qui n’avaient que leur corps et leur voix pour s’exprimer, le tango est fondamentalement cinématographique. Quand bien même il ne filmerait que les musiciens, laissant, une fois n’est pas coutume, les danseurs de côté.
Bien loin d’être une leçon filmée mécanique entre de vieux professeurs et leurs jeunes élèves, le documentaire plonge dans les arcanes des différentes interprétations, rythmes et variations d’un même tango. La bonne idée du film est alors d’avoir précisément choisi cette histoire de « passage de témoin » : se réappropriant les vieux tangos, se souvenant de ce que fut l’Argentine, les jeunes musiciens en font leur musique, celle du Buenos Aires d’aujourd’hui. Mais, restant parfaitement centrée sur son sujet, Caroline Neal ne fait que peu d’incartades dans les rues de la capitale argentine, tout comme elle ne fait appel qu’à très peu d’images et de photos d’archives de la période faste d’Emilio Balcarce. Le ton du film n’est pas nostalgique, mais fait le pont entre l’Argentine d’hier et l’Argentine contemporaine, encore bouleversée par la récente crise. Au-delà de ses qualités musicales exceptionnelles, Une histoire du tango donne définitivement envie de dire : « Vuelvo al sur »…