Depuis maintenant un plus d’un an et la révélation fulgurante des Bruits de Recife, une certaine attention, voire un frémissant enthousiasme, entoure le jeune cinéma brésilien (cf. les sorties récentes de Casa Grande et d’Une seconde mère). Passé par le Festival de Locarno, dont il est reparti avec une mention spéciale, Ventos de Agosto n’a certes ni l’étrangeté troublante ni la virtuosité du premier film de Kleber Mendonça Filho, mais il noue cependant avec lui de séduisants ponts. Dans un village au bord de mer, le quotidien d’un pêcheur et de sa petite amie est perturbé par la découverte sous la mer d’un crâne de squelette, puis par le reflux d’un cadavre putréfié pour lequel le héros va développer une mystérieuse fascination. Le Brésil, territoire de fantômes : comme dans Les Bruits de Recife, le film trouve dans un microcosme (ici un village modeste) un terreau fantastique. À ceci près, et c’est ce qui fait véritablement le sel de cette première fiction (le réalisateur, Gabriel Mascaro, vient du documentaire) est que le penchant surnaturel du film repose moins sur une stylisation extrême que sur une brutalité du réel. Pendant un peu moins d’1h20, le film trace ainsi un singulier sillon, entre la ballade sensualiste, la chronique sociale, et même une certaine abstraction, le film entreprenant de figurer les forces invisibles qui flottent autour de ce village côtier en faisant du vent le moteur sensoriel (essentiellement par le son) de son film.
À l’inconnu
Passionnant programme, toutefois à moitié mené, tant le film refuse de suivre un horizon clair pour s’aventurer vers un autre chemin aux contours troubles, celui de la recherche de sa propre identité. Il est curieusement plutôt rare de voir un jeune cinéaste envisager réellement un film comme un essai, soit un terrain d’expérimentation, de tentatives, qu’elles soient concluantes ou maladroites. Il y a dans Ventos de Agosto un appétit de cinéma, une volonté de se frotter à une pluralité de régimes de mise en scène, de passer d’un registre à un autre. Tout y passe, ou presque : scènes en caméra subjectives, explorations saisissantes des fonds sous-marins (d’assez loin les plus belles séquences du film), plans très composés et fixes à l’intérieur de la maison de l’héroïne, caméra embarquée sur un camion, travellings latéraux près de la rivière où habite le héros, etc. Si l’on ne sait pas toujours quelle détermination cinématographique guide les choix de Mascaro, il y a quelque chose de salutaire dans ce cinéma-là, pas encore conditionné par les réflexes académiques que l’on retrouve dans trop de films sélectionnés dans les grands festivals, encore innocent et désireux de toucher un peu à tout avant de trouver un ton bien défini.
Le revers de la médaille, naturellement, est que l’ensemble s’avère très décousu, et si le film veut se prévaloir d’avoir de vraies qualités formelles, son montage, lui, peine à convaincre. Les scènes se succèdent assez indépendamment l’une de l’autre, ce qui en soit n’est pas un mal, puisque la coupe est ici moins affaire de raccords que là pour tailler des blocs de temps, de sensations, où le spectateur peut se perdre. Seulement, et c’est là une critique assez paradoxale, on en a conscience (car elle implique de comparer un objet assez libre à des modèles trop imposants), le film se révèle à l’arrivée pas assez contemplatif : la coupe surgit trop tôt pour que le trouble imbibe complètement le cadre, pour que le ballet sensoriel (du bleu troublé des abysses à la lumière tamisée d’une ballade au milieu de la forêt) atteigne ce point de bascule qui fait la beauté, disons, du cinéma de Weerasethakul, ou à une moindre échelle de celui de Lisandro Alonso. Il est encore heureusement un peu tôt pour statuer sur le cas de Mascaro, mais on a en tout cas hâte d’en voir un peu plus, car voilà au moins un jeune cinéaste dont le devenir ne parait pas déjà tout tracé.