Dans Viva Cuba, Juan Carlos Cremata Malberti lance un appel à prendre en considération le choix des enfants aux tournants de leur vie. La fracture entre leur monde et celui des adultes donne sa matière au film, mais le scénario n’est guère surprenant, et plutôt décevant. Le bon côté du film tient au jeu des jeunes acteurs.
Parmi les films cubains sortis en France ces derniers mois, il ne s’agit pas tant de films politiques, d’opposants au régime de Castro en exil, que de cris d’amour envers Cuba la belle, sa musique, sa joie de vivre, ses difficultés chaque jour surmontées.
Dans Habana Blues, par exemple, sorti en janvier 2006, Benito Zambrano mettait en scène deux musiciens en quête de reconnaissance, était avant tout un hymne au peuple cubain, contre l’appétit capitaliste de producteurs espagnols et contre le déchirement de l’exil. Dans Viva Cuba, c’est à nouveau l’hommage à la beauté de la terre cubaine qui prend le dessus sur l’angle politique.
Devant Viva Cuba, une ritournelle, bizarrement bien française, nous tourne dans la tête : « Cher pays de mon enfance… » En l’occurrence, le « pays » est pris dans une double acception : il est à la fois Cuba, mais aussi l’enfance, un pays sacré, un monde merveilleux bien séparé de celui des adultes, cocon qu’on ne veut pas quitter.
Malu et Jorgito sont deux amis inséparables, jouant et se chamaillant, se promettant de se marier quand ils seront grands. Malu vient d’une bonne famille bourgeoise et très catholique, alors que les parents de Jorgito sont plus pauvres et toujours attachés au Che et à la révolution. Les deux familles ont interdit à leurs enfants de se fréquenter, mais les gamins n’en ont cure. Le jour où la grand-mère adorée de Malu meurt, sa mère, mariée à un étranger, décide que plus rien ne la retient à Cuba et entreprend de quitter le pays, une fois l’autorisation de sortie du territoire signée par le père de Malu, son premier mari. C’est ce qui décide Malu et Jorgito à s’enfuir, jusqu’à la pointe extrême de l’île, retrouver le père de la fillette pour l’empêcher de signer les maudits papiers.
Plusieurs remarques nous viennent devant l’histoire, et ce que le film décide de montrer : Cuba est pauvre, le régime castriste impose taxes et cartes de rationnement, mais Cuba est belle, surtout pour un enfant, qui mange à sa faim et reste loin des considérations politiques. Cuba, pour un adulte, n’offre pas de perspectives, est figée dans le passé. Pour un enfant, c’est un magnifique terrain de jeux, où les plages sont blanches, les forêts fournies, les fruits sucrés, le soleil toujours au rendez-vous.
Plusieurs intentions donc dans ce film de Juan Carlos Cremata Malberti : filmer la beauté et la variété des paysages cubains, mettre en scène l’indéfectible amitié qui peut lier deux enfants, donner un accent « peterpanesque » à leurs aventures en renvoyant dos à dos monde enfantin/ monde adulte. Mais ce parti pris à plusieurs désavantages : d’une part, le réalisateur ne peut éviter les clichés (les secrets qu’on enfouit dans une boîte, l’incompréhension des adultes face à l’imaginaire des enfants, les plages blanches et désertes bordées de palmiers…). D’autre part, il relègue au second plan la dimension politique immanquablement liée au cinéma cubain dès lors qu’on traite de l’exil, ici celui désiré par la mère de Malu, pour qui l’île de Castro n’a plus d’avenir à lui offrir. L’effleurement de certaines conséquences du castrisme (inégalités, pauvreté, manque de libertés individuelles, émigration…) nous laisse sur notre faim.
Ceci posé, on peut s’attarder sur la volonté de Juan Carlos Cremata Malberti de faire un film porté par les enfants, et cet aspect-là est plutôt réussi. Malú Tarrau Broche et Jorgito Miló Ávila, les deux jeunes acteurs, font partie d’une célèbre troupe de théâtre pour enfants, « La Colmenita » : leur spontanéité, l’expression de leurs visages, leur fraîcheur s’imprime naturellement sur la pellicule, apportant également beaucoup d’humour à ce film qui veut finalement rappeler surtout une chose : à quel point il est important de considérer l’opinion des enfants au moment de prendre une décision importante (un acte établi dans la convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’ONU). Cette réussite dans la manière de filmer les enfants a entraîné un grand succès de Viva Cuba, à Cuba mais aussi à l’étranger. À Cannes, c’est le premier film cubain primé, couronné du Grand Prix Écrans Juniors. Dommage que Juan Carlos Cremata ait imaginé pour ces jeunes comédiens une fin pour le moins invraisemblable, et assez affligeante.