Voltiges porte bien son nom. Dans son premier film, Lisa Aschan, jeune réalisatrice suédoise, multiplie les pirouettes pour passer d’une intrigue à l’autre : le sujet principal, traité en pilotage automatique (la rivalité amoureuse entre deux adolescentes), est supplanté par une histoire secondaire bien plus gonflée (une petite fille de sept ans un peu trop travaillée par le désir). Pour un résultat forcément inégal.
On peut voir deux films distincts dans Voltiges : l’un – qui occupe les deux tiers de sa durée – est d’une épuisante maladresse, et l’on ne peut s’empêcher de le comparer, à son détriment, au beau Naissance des pieuvres de Céline Sciamma : on y trouve deux adolescentes, fascinées l’une par l’autre, engagées dans une violente compétition teintée d’attirance sexuelle inavouée, dans un milieu sportif peu connu et vaguement intriguant, la voltige équestre. L’autre, nettement plus intéressant et ambitieux, est hélas à peine ébauché : il traite de l’éveil sexuel extrêmement précoce, et donc forcément très dérangeant, d’une gamine de sept ans, petite sœur de l’une des deux héroïnes.
Lisa Aschan, jeune réalisatrice suédoise, a visiblement de l’ambition à revendre et un bagage autobiographique qu’elle cherche vraisemblablement à traduire à l’écran. Mais en dépit de toute ses bonnes intentions et d’une réelle recherche formelle (notamment dans les scènes d’entraînement de voltige, assez troublantes), son histoire d’amour/haine entre deux jeunes filles empêtrées dans leur désir semble terrifiée par sa propre audace. Le jeu timide des deux actrices, figées derrière un masque de cire dont on ne sait ce qu’il est censé évoquer (la peur ? la folie ? le vide ?) alourdit un peu plus un scénario déjà pas très fin : en enfilant les clichés lesbiens comme les perles, Lisa Aschan provoque plus d’exaspération que de trouble. Et en confondant langueur et lenteur, ambiguïté et clins d’œil appuyés, elle se prend les pieds dans le tapis et ne parvient qu’à susciter un ennui poli.
Ce qu’elle réussit à créer à partir d’une intrigue secondaire, en revanche, est d’une toute autre facture. Comme si la réalisatrice, lassée en cours de tournage de son sujet principal, l’avait délaissé pour se concentrer sur autre chose. Pendant que sa grande sœur s’abandonne aux troubles saphiques, Sara, sept ans, est très préoccupée par son propre désir pour un garçon qui lui plaît beaucoup, et dont elle parle en termes équivoques. La révélation tardive de l’âge réel de l’objet de son affection met à jour un malaise que la réalisatrice s’amuse, de façon assez perverse, à diffuser par petites touches tout au long du film. À commencer par cette scène extrêmement inconfortable où la gamine, allongée près de son père, lui demande de lui gratter le ventre… En évitant miraculeusement tout voyeurisme malsain, et sans jamais tomber non plus dans un discours trop explicatif, Lisa Aschan aborde mine de rien un sujet quasi tabou, rarement traité au cinéma, avec une pudeur qui ne baisse jamais les yeux devant le malaise. Dommage que Voltiges ne témoigne pas entièrement de la même ambition.