L’idée de Voyage en Chine n’est pas sans rappeler L’Intouchable de Benoît Jacquot dans la mesure où la quête d’un disparu (un fils décédé dans le premier, un père perdu de vue dans le second) devient le prétexte à un déplacement géographique et à un détonant choc des cultures. Dans les deux cas, le point de départ est le même : un morne quotidien quelque part en France qui atteint son point de non-retour, puis la nécessité de tout quitter pour s’immerger dans une autre culture que la sienne. Sauf que dans le cas de Jacquot, le personnage joué par Isild Le Besco ne cherchait jamais à décrypter la culture de son pays d’accueil, se laissant imperceptiblement happer par l’énergie des lieux jusqu’à atteindre une sorte d’hypnose qui faisait perdre de vue l’objectif premier (retrouver ce père intouchable). Pour Zoltán Mayer, dont c’est ici le premier long-métrage, il n’est jamais question de se désintégrer au profit d’un ailleurs en faisant fi de son identité. Le dispositif de Voyage en Chine est beaucoup plus littéral, voire illustratif, à l’image de ce titre qui semble réduire l’enjeu à sa stricte dimension géographique. Si la mise en scène nous épargne les flashbacks tant redoutés et gère plutôt bien la question du hors-champ, on ne peut que regretter de constater à quel point la question du deuil, qui plus est de l’enfant unique, inspire si peu le cinéaste.
Terrain de jeu
Alors que le gigantesque pays qu’est la Chine aurait pu offrir mille possibilités de fictions, on ne peut que s’étonner de l’étonnante réserve avec laquelle le cinéaste aborde cet espace. De Shanghai, mégalopole surdimensionnée où arrive le personnage joué par Yolande Moreau, on ne verra quasiment rien si ce n’est un immeuble d’habitation où logeait son fils photographe avant de décéder dans un accident de la circulation en province. Partie dans le village témoin du drame, la mère endeuillée va découvrir une petite communauté bienveillante où le pittoresque des lieux ne constitue jamais un obstacle à l’accueil des étrangers. On pourra du coup s’agacer de voir les Chinois ainsi réduits à une bande de bons vivants qui ont le goût des bonnes choses (la musique, la nourriture et le travail manuel) sans que rien ne soit dit de leurs souffrances ou de leur identité. Débarquée dans ce village reculé, la Française ne rencontre d’ailleurs que peu d’obstacles à communiquer avec les villageois : l’un d’entre eux est parfaitement bilingue (ce qui tombe plutôt bien puisqu’il se pose en concurrent direct du mari resté en France et qui endosse clairement le mauvais rôle) et la petite amie du fils parle le français avec une aisance déconcertante. On tient là la parfaite démonstration d’un scénario qui ne s’embarrasse pas d’obstacles insurmontables à la résolution de ses enjeux.
Question de point de vue
Si Zoltán Mayer s’est d’abord distingué en tant que photographe (ce qui nous vaut quelques plans joliment cadrés et une photographie plutôt maîtrisée), il est surprenant de constater la faiblesse du regard dans Voyage en Chine, comme si le réalisateur n’avait jamais su véritablement de quel point de vue filmer son histoire. Plutôt que d’être saisie par l’étrangeté que peut inspirer un pays à la culture aussi éloignée de la nôtre en collant davantage au regard déboussolé de l’héroïne, la caméra semble rivée à une Yolande Moreau lourde et massive qui occupe le plan tel un bloc quasi imperméable, obligeant les autres personnages à se travestir d’une certaine manière pour répondre aux prérogatives scénaristiques. Alors qu’il aurait été troublant de laisser complètement le personnage du fils absent au hors-champ, les situations s’appuient sur les confessions un peu pompeuses de ses amis qui le racontent à coup d’anecdotes détaillées. Enfin, on aurait espéré que les spécificités culturelles du village soient moins sagement illustrées, donnant le désagréable sentiment que Voyage en Chine ne se limite qu’à être un petit frisson pour Occidentaux qui, sous couvert d’exotisme, sont convaincus de vivre une grande aventure humaine alors qu’ils ne sortent jamais de leur zone de confort.