Morte assassinée le 1er novembre 2006, l’actrice et réalisatrice Adrienne Shelly, figure du cinéma indépendant américain vue notamment chez Hal Hartley (Trust Me), aura terminé sa carrière sur cette comédie qui aspire à raconter espoirs et frustrations avec légèreté. Serveuse dans un de ces petits restaurants typiques du paysage américain, Jenna y est réputée pour ses tartes, dont elle improvise les recettes avec un rare talent. Une activité créatrice par laquelle elle compense tant bien que mal son désespoir d’être mariée à Earl, un rustre bas du front, possessif et violent. Justement, au début du film, elle apprend à son grand désarroi qu’elle porte un enfant de cet individu. Elle a alors cent minutes de film pour décider si elle garde ou non le bébé, si elle s’enfuit ou non de son patelin pour participer au concours de tartes synonyme de revenus et de liberté, si elle trompe ou non son mari avec le séduisant docteur excentrique et transi d’amour à qui elle se confie…
Ces enjeux archétypaux entre mélo et comédie romantique donnent lieu à une alternance de moments de positive attitude un peu niaise (les scènes dans le microcosme du restaurant, entre collègues super-copines, patron irascible et vieux client grincheux au cœur d’or, relèvent presque de la sitcom) et vrais instants de pessimisme, notamment les tranches de vie conjugale de l’héroïne qui font jusqu’au dernier moment douter de la résolution de ses dilemmes. Ces accès de lucidité disséminés parmi les ressorts comiques un peu lisses du film sont louables, mais ne confèrent à Waitress qu’un intérêt limité, et surtout ne l’empêchent pas de tomber dans le piège le plus pervers auquel il s’est exposé : celui de la métaphore simplette. L’œuvre pâtissière de Jenna, d’abord simple exutoire à son existence morose, devient peu à peu la concrétisation triviale de son idéal de liberté de vivre et de créer, le sujet d’une leçon de vie un rien publicitaire – à l’appui, ces plans léchés de l’héroïne en cuisine qu’un spectateur mal luné pourrait confondre avec un spot pour yaourts La Laitière… On n’est pas si loin du discours démagogique tenu en son temps par Robert Zemeckis sur la base d’une boîte de chocolats.
Waitress n’est pas foncièrement antipathique dans son genre ; simplement, à l’image de son discours prévisible et fédérateur, il cède trop souvent à la facilité. Même les efforts de la metteuse en scène pour distiller un peu d’excentricité ou d’imprévu finissent par devenir des procédés : ainsi, la soudaineté du coup de foudre de Jenna pour l’intrigant docteur, le déphasage du comportement de ce dernier ne surprennent qu’un temps, avant que la surexploitation ne fasse de ces détails inattendus une norme ronronnante. Malgré les moyens déployés et la bonne volonté évidente, le film ne quitte jamais vraiment le stade de l’anecdotique.