Le nouveau projet de Vik Muniz, artiste brésilien expatrié aux États-Unis, le conduit à retourner sur sa terre natale, Rio de Janeiro, plus précisément à Jardim Gramacho, dans la plus grande décharge à ciel ouvert du monde. Là, épaulé par quelques catadores (des chiffonniers qui vivent du tri des déchets), il réalise une œuvre photographique d’envergure, destinée à faire découvrir au monde de l’art et au-delà, le quotidien d’hommes et de femmes anonymes et exceptionnels.
Le dessein de Muniz, plein de bonnes intentions quant à la reconnaissance d’une population totalement oubliée, nous fait atterrir dans un no man’s land redoutablement organisé. Quelque cinq mille catadores travaillent sur les tas d’immondices, triant les matières recyclables pour en tirer une vingtaine de dollars par jour et vivent dans le bidonville attenant. Personnages d’une extrême pauvreté qui s’escriment à réorganiser le désastre de notre surconsommation, les catadores se révèlent immédiatement très intrigués par cet homme qui arpente la décharge, suivi d’une équipe de tournage. Qui est-il ? Que fait-il sur ce territoire oublié ?
Muniz commence à faire connaissance avec certains ramasseurs (le casting). Isis, fascinée par la caméra, se recoiffe dès que Vik s’approche. Suelem, enceinte, assume son activité honnête avec fierté. Irma, la cuisinière prépare et vend des repas aux travailleurs avec ce qu’elle trouve dans la décharge. Tiao défend les droits des catadores dans une association qu’il a créée quand il ne trie pas les ordures. Ces personnages deviennent pour Muniz les protagonistes de ce qui deviendra Pictures of garbage series. Ce projet consiste à réaliser des portraits photographiques de Suelem, Isis et des autres, à les reproduire dans un immense atelier à très grande échelle grâce à tous les détritus possibles puis de nouveau à les immortaliser sur pellicule. Ce sont ces derniers clichés qui constitueront la série Garbage.
Heureux de pouvoir quitter pour un temps leur activité dans les immondices, la joyeuse troupe s’affaire pour Muniz, dubitative au début puis de plus en plus subjuguée par le travail de reconstitution. Chacun découvre alors son visage et la beauté qui s’en dégage. Invités pour le vernissage de la série au Musée d’art moderne de Rio, ils se découvrent œuvres d’art, sont interviewés par les médias présents à l’événement et retrouvent une part d’humanité et de reconnaissance qui leur avait jusque là été confisquée. Tiao, le jeune catador dont la photographie reprend un tableau célèbre de Marat assassiné va même suivre Muniz à Londres pour une vente aux enchères à Christie’s. Cette confrontation du jeune brésilien avec le monde des galeristes résume à elle seule la pertinence mais aussi les limites du projet de l’artiste. Quand Tiao découvre une œuvre de Damian Hirst (une boîte à pharmacie valant plusieurs centaines de milliers de livres), son étonnement et son incompréhension éclatent. Quel est ce monde où des hommes triment pour quelques dollars alors qu’ils œuvrent pour la collectivité et où quelques boîtes de médicaments savamment disposées rapportent des millions ?
L’inanité du marché de l’art contemporain, dont Muniz fait partie, reflète parfaitement bien notre société. Inégalitaire, cynique, illégitime, notre monde produit tout autant la pauvreté des catadores que la prodigieuse richesse d’artistes, pour le moins discutable. Le documentaire de Lucy Walker survole cet état de fait sans en prendre la mesure, allant même jusqu’à une certaine indécence. Lorsque Muniz, dans son appartement new-yorkais explique qu’il se détache de plus en plus de la société de consommation, le décor autour de lui ruisselle de biens, de fauteuils de designer et d’objets high-tech. Quand il discute de la possibilité d’amener Tiao avec lui à Londres, sa femme lui conseille d’être prudent, car il pourrait s’habituer à ce traitement de faveur alors qu’il devra tôt ou tard retrouver sa condition de chiffonnier, il ne faudrait pas trop le déstabiliser. Autant qu’il reste à Jardim Gramacho avec les siens. Ces quelques passages éclairent d’un jour bien plus sombre le beau projet humanitaire de Muniz (tout l’argent récolté par la vente des œuvres est reversé à l’association des ramasseurs de déchets de Jardim). Aider les pauvres (250 000 $ ont été récoltés) ne rime pas dans Waste Land avec une remise en question du système qui produit cette extrême pauvreté. Tous les acteurs de ce documentaire retournent après cette parenthèse enchantée à leur point d’origine : une belle maison en Amérique ou une chambre insalubre dans un bidonville.
Si Waste Land se présente comme « le Slumdog Millionaire du documentaire » (dossier de presse à l’appui), c’est peut-être parce qu’il charrie avec lui les mêmes interrogations face à la contemplation de la misère sous couvert de dénonciation. L’art ne change pas le monde, mais il est dommage que Waste Land ne cherche pas à faire surgir dans son tableau presque idyllique les contradictions et aberrations qui coexistent au sein même de son projet.