S’inscrivant dans la lignée de ces productions britanniques qui croquent le monde ouvrier avec empathie mais sans misérabilisme, le nouveau film de Nigel Cole mêle humour, drame et émotion avec une efficacité certaine mais sans grande audace ni imagination. Son intérêt, réel, vient surtout de son sujet – les luttes pour l’égalité salariale hommes-femmes – qui n’a pas été souvent traité au cinéma (s’il l’a seulement jamais été !) et dont une réalisation impersonnelle et un scénario consensuel ne parviennent pas à gâcher totalement le potentiel.
En 1968, l’usine Ford de Dagenham, en Angleterre, est la plus grande d’Europe, avec plus de 50 000 ouvriers… dont 183 femmes. Employées à assembler le revêtement des sièges du demi-million de voitures construites chaque année, ces ouvrières-couturières en ont plus qu’assez : contraintes de travailler dans des conditions déplorables, elles sont, malgré leur savoir-faire, bien moins payées que les moins qualifiés de leurs collègues. Elles entament donc une grève qui va paralyser pendant trois semaines l’un des principaux constructeurs automobiles mondiaux, et aboutira aux premières mesures (encore timides) visant à garantir l’égalité salariale hommes-femmes au Royaume-Uni – un objectif qui, à l’époque, apparaissait encore plus utopique qu’aujourd’hui…
L’anecdote est aussi réelle que méconnue. Pour faire valoir leurs droits, les courageuses femmes de Dagenham ont dû combattre sur tous les fronts : contre la puissante multinationale qui les employait, mais aussi contre les syndicats (qui les ont ignorées, par clientélisme et misogynie) et contre leurs propres collègues, qui étaient souvent également leurs conjoints ! Rompus aux conflits sociaux, ceux-ci les ont soutenues dans un premier temps… jusqu’au moment où ils ont vu leurs propres emplois menacés par la paralysie de l’usine.
Le scénariste William Ivory et le réalisateur Nigel Cole, auteur de quelques comédies anodines (Saving Grace, Calendar Girls ou 7 ans de séduction) étaient donc dépositaires d’un sujet en or. Ils ont malheureusement fait preuve d’une timidité (formelle et surtout narrative) qui en émousse considérablement l’acuité. Leur confondant manque de courage éclate notamment dans le consternant panneau qui, juste avant le générique final, vient annoncer que « Ford est aujourd’hui un employeur modèle »…
La plupart des choix scénaristiques semblent en fait guidés par le souhait d’atténuer la portée du film, au risque de réduire un épisode-charnière de l’histoire sociale et ouvrière à une petite comédie dramatique sans grande portée ni prétention. Pour les besoins de l’identification du spectateur, les auteurs ont par exemple imaginé un personnage de « meneuse », Rita, qui finit par éclipser la dimension collective du mouvement ; ses camarades sont d’ailleurs réduites à de sommaires archétypes. En cela, We Want Sex Equality témoigne des mêmes travers que ces journaux télévisés qui, dès qu’ils doivent rendre compte d’un mouvement social, focalisent systématiquement leur attention sur un « leader » ou un porte-parole charismatique – quitte eux aussi à en créer de toutes pièces.
D’où vient pourtant que l’on ait envie de défendre ce décevant We Want Sex Equality ? Peut-être parce que l’actrice Sally Hawkins, autrement plus convaincante ici que dans Be Happy, est étonnamment touchante dans le rôle d’une femme modeste et inexpérimentée qui prend conscience de sa propre force, et qui grandit en même temps que le mouvement qui la porte. Peut-être aussi parce que le film fait parfois mouche, le temps de quelques belles scènes : une dispute entre Rita et son mari (l’occasion d’un dialogue d’une grande pertinence et d’une belle justesse), ou l’humiliation de Rita par un professeur qui la renvoie, avec un mépris à peine dissimulé, à son double statut de femme et de pauvre.
Mais si We Want Sex Equality mérite quand même d’être vu, c’est surtout parce qu’il ne se réduit pas à un film de genre, conforme au cahier des charges d’une comédie sociale britannique : c’est aussi un film de genres. Son sujet l’amène à aborder des questions complexes et passionnantes, rarement traitées dans une fiction grand public : l’imbrication de la lutte des classes et du combat féministe ; l’impact d’un conflit social sur la vie personnelle et intime de ceux et celles qui le mènent ; la « double journée » des femmes actives (ces « prolétaires de l’homme », pour reprendre la formule de Friedrich Engels) ; ou le continuum du sexisme au sein des sphères privée, professionnelle et politique.
En somme, We Want Sex Equality, pour imparfait qu’il soit, a le mérite d’exister – ce qui n’est pas négligeable.