Pour son deuxième long-métrage, Debra Granik adapte le roman homonyme de Daniel Woodrell relatant les mésaventures d’une adolescente, Ree Dolly. Installée dans un trou paumé du centre-ouest des États-Unis, elle est chargée de veiller sur sa famille depuis que le père a mystérieusement disparu après avoir trempé dans diverses affaires de trafic de drogue. Si la réalisatrice ne lésine pas sur le détail qui fait mouche pour rendre crédible la rudesse d’un certain milieu rural, Winter’s Bone est à la limite de la caricature du film indépendant dont se gargarise à l’envi Sundance depuis quelques années.
Prenez un soupçon de Délivrance de John Boorman, ajoutez une pincée de Rosetta des frères Dardenne, confiez le tout à une filiale de production du cinéma américain estampillée Sundance, et vous obtenez Winter’s Bone, second long-métrage de Debra Granik, « film indé » comme on s’en méfie, nommé dans quelques catégories majeures à la dernière édition des Oscars. Pourtant, on ne peut pas dire que la réalisatrice se soit contentée de peu pour rendre crédible cette contrée rurale du centre-ouest des États-Unis, crasse et dangereuse, où chaque habitant semble avoir un encombrant lien de parenté avec son voisin, donnant la désagréable impression d’une communauté anxiogène qui a commis la grave erreur de ne se reproduire qu’entre elle. Si on se tient à une prudente distance de la dégénérescence dépeinte par Boorman dans son célèbre Délivrance, c’est que la réalisatrice n’offre pas de contrepoint urbain et s’évite ainsi d’opposer les deux milieux de manière un peu trop manichéenne. Et c’est probablement à ce niveau-là que Winter’s Bone s’en sort le mieux. Évitant les généralités sociologiques, le film ne déborde pas du cahier des charges que la réalisatrice avait fixé : faire corps avec son personnage principal et le suivre dans sa quête. Mais là où le film se heurte à sa grosse limite, c’est que cette quête n’a en soi rien de bien passionnant, la faute à un scénario qui s’en tient paresseusement à un seul enjeu dramatique là où il aurait été intéressant de multiplier les pistes.
Pourtant, sur le papier, l’histoire n’était pas sans intérêt : Ree (Jennifer Lawrence, nouvelle révélation du cinéma américain) est une adolescente de dix-sept ans, devenue par la force des choses une adulte responsable. Veillant sur une mère amorphe, son frère de douze ans et sa petite sœur de six ans, elle trouve au jour le jour des solutions pour permettre à sa petite famille de survivre. Telle une Rosetta, elle arpente les terrains boueux du village et se fond dans le gris hivernal ambiant, en quête de nouvelles solutions susceptibles de la sortir de cette galère quotidienne. Mais les choses se compliquent lorsqu’elle apprend que son père, libéré sous caution après avoir été arrêté pour trafic de drogue, a mis la maison et le terrain en jeu : si ce dernier ne se présente pas au tribunal en temps et en heure, tous les biens seront saisis et la famille jetée à la rue. Téméraire, Ree décide alors de retrouver elle-même la trace de son père, quitte à fricoter avec des complices peu commodes et pas vraiment encombrés par le sentiment de pitié. À travers cette (en)quête, c’est donc toute une communauté qui est dépeinte et, pour « faire vrai », la réalisatrice a sélectionné une série de gueules cassées plus ou moins effrayantes (le contraste avec le beau visage juvénile de Jennifer Lawrence est d’ailleurs un peu trop saisissant), donnant l’étrange sentiment que dans ces contrées reculées, tout le monde rivalise de laideur, probable conséquence d’une consanguinité jamais très éloignée de relents incestueux.
Seulement, le film ne s’aventurera jamais véritablement dans ces eaux troubles, se bornant à suivre l’adolescente dans ses démarches qui n’ont qu’un seul but reconnu : éviter l’expropriation. Le reste n’intéresse pas la réalisatrice, ce qui donne assez rapidement le sentiment que le film tourne en rond, n’offrant à aucun autre personnage l’opportunité d’exister réellement. Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui manquaient : entre l’oncle toxicomane, la voisine bienveillante et l’amie d’enfance devenue mère un peu trop tôt, Debra Granik tenait là suffisamment d’opportunités pour nuancer son film et donner chair à cette petite communauté. Las, elle limite la présence de ces derniers à une intervention accessoire, les privant de toute histoire ou d’enjeux susceptibles de nourrir le film en ambiguïté. Du coup, le propos se limite très rapidement à un affrontement binaire : la jeune et jolie Ree contre le clan de trafiquants qui, passé la scène de tabassage en règle (encore une fois pour « faire vrai »), a vite fait de donner à la jeune femme frêle mais têtue ce dont elle a besoin, comme si elle représentait une menace (pourtant pas d’une très grande crédibilité). Pour l’adaptation, la réalisatrice et sa scénariste ont donc probablement trop épuré les enjeux du roman initial, quitte à en édulcorer certains passages. En définitive, cette plongée en eaux troubles au fin fond des États-Unis a quelque chose de plutôt confortable (pas racoleur non plus, les pires travers sont donc évités), rendant la vision de Winter’s Bone pas désagréable mais plutôt vaine.