Avant d’être le titre du premier long métrage réalisé par JR, photographe au vrai nom inconnu et ayant pour particularité d’exposer ses œuvres en grand format au milieu des paysages urbains, « Women Are Heroes » est celui d’une de ses dernières expositions. De fait, le documentaire Women Are Heroes ne concerne pas vraiment la lutte des femmes, comme on pouvait l’attendre, mais plutôt la mise en place de l’expo « Women Are Heroes » au cœur de régions en développement. Mais la transmission de cette entreprise au cinéma lui rend-elle vraiment service ?
De la photo au cinéma…
L’exposition « Women Are Heroes » se compose de portraits rapprochés de femmes de diverses origines – mais toutes de ce qu’on appelle « le tiers monde » – fixant la caméra avec des airs de défi, souvent grimaçants et moqueurs. Les afficher en grand format au cœur de leurs lieux de vie permet, selon l’artiste, d’améliorer la visibilité du sujet – la femme en général – et du lieu hors du contexte globalisant des médias, tout en faisant réagir les observateurs des photographies, en particulier les hommes. Le film s’attache à exposer la démarche dans son contexte (témoignages des femmes photographiées, visites de leurs lieux de vie où on placarde tant bien que mal les portraits géants) pour en démontrer à la fin les effets (captations des expressions de stupéfaction et de fascinations de ceux qui croisent les regards affichés).
… et du cinéma au clip
Avec son ambition limitée et son montage rythmé par la bande musicale électro, Women Are Heroes le film s’apparente moins à un documentaire qu’à un clip promotionnel ; d’autant plus qu’il ne s’agit que de la démonstration redondante d’un effet recherché de relation avec le public, c’est-à-dire qu’il ne réitère pas l’effet, mais ne fait que l’illustrer. La mise en abyme de l’œuvre photographique dans l’œuvre filmique n’apparaît jamais vraiment nécessaire, en dehors d’un making-of de la première qui se suffit pourtant à elle-même. Mais ce qu’il y de plus gênant dans cette démarche, ce sont les limites qu’elle révèle dans la vision qu’a le photographe-réalisateur JR de son sujet, alors même qu’il fait mine d’étendre son discours en contextualisant son œuvre. Faire exister des lieux et des femmes par la photographie aux yeux des observateurs, les sortir de la représentation consensuelle et réductrice offerte par les journaux de 20h, c’était au moins une ambition intéressante et un travail non dénué de conséquences. Cependant, le film qui suit ce travail – sans vraiment en prolonger l’effet, donc – fait douter que ces lieux et ces femmes existent vraiment aux yeux du réalisateur. De sa collection de témoignages de mères-courage, il est incapable de tirer plus que des illustrations des lieux communs sur la condition des femmes et de leur lutte pour l’émancipation dans les pays les moins favorisés (d’ailleurs, pourquoi ne pas avoir étendu le procédé à des pays plus riches où il y aurait, quoi qu’on en dise, des choses à dire sur le sujet ?). Et les images des favelas, des bidonvilles indiens ou des villages d’Afrique ne lui inspirent que des séquences de clips électro balayant et esthétisant la même imagerie de consensus télévisuel dont il prétendait se détacher, auxquelles les prises de vue sans âme des portraits géants sur les murs, les toits ou même les trains ne font qu’ajouter du clinquant arty. Visages, regards et paysages sont eux-mêmes réduits à des illustrations-cautions world pour une entreprise finalement assez narcissique, moins concernée par l’état du monde qu’elle ne se l’imagine dans son humanisme de salon.