À peine trois ans après le drame, voici le premier film choisissant comme toile de fond le tsunami, cette vague géante ayant emporté sur son passage des milliers de villages et de vies humaines en Asie du Sud-Est. Wonderful Town relate la vie après la catastrophe d’un de ces villages de la côte thaïlandaise. Une sorte de contraste à lui seul qui allie renaissance et reconstruction avec l’errance et le désespoir de ses habitants pour lesquels le désastre résonne encore aux esprits.
Takua Pa est une petite ville du sud de la Thaïlande. Depuis le passage du tsunami, elle a totalement changé de visage. Un an après le sinistre, un architecte prénommé Ton arrive en ville afin de superviser l’avancée des travaux de reconstruction d’une chaîne hôtelière au bord de la plage. Il loge dans un petit hôtel tenu par Na, jeune femme discrète aux charmes délicats et aux doux sourires. Et puisque malgré tout la vie continue, une idylle va évidemment s’installer entre eux ; seulement elle ne sera pas du goût de tout le monde.
Le cinéma est progressivement devenu un miroir de l’actualité. Puisque chaque événement mondial relativement important se met en images à un moment donné, il était indéniable que le tsunami fasse à son tour ses débuts cinématographiques. Il n’est ici évidemment pas question d’une grosse production spectacle représentant la catastrophe elle-même. Aditya Assarat étant principalement intéressé par les gens, leurs relations, leurs amours (car c’est pour lui « le sentiment dont on se souvient le plus clairement »), Wonderful Town lui est d’abord apparu sous la forme d’une histoire d’amour, et c’est à la suite d’une visite à Takua Pa en 2006 qu’il trouva intéressant d’utiliser le contexte tsunami afin de confronter l’idylle naissante aux difficultés économiques et sociales.
Comme de nombreux petits villages des côtes thaïlandaises, Takua Pa est en pleine reconstruction. Les chantiers émergent, les routes et les maisons se reconstruisent, comme si les gens voulaient oublier le passage de la vague meurtrière. Mais à ce sentiment d’espoir et de renouveau, Assarat confronte pourtant l’idée d’une ville calme et endormie car au milieu des ruines, ce sont des épaves humaines qui errent. Les personnages sont tristes, leurs âmes blessées, la ville est calme, les plans sont lents, très souvent désertés de toute vie humaine. Une ville fantôme à la limite du morbide. Assarat, dont c’est le premier long métrage déjà récompensé dans de nombreux festivals (dont le Grand Prix du jury du festival du film asiatique de Deauville en mars 2008), a l’intention de jouer la carte du contraste entre cette tristesse fantomatique et la vitalité d’une histoire d’amour naissante. Cependant, le peu d’énergie dégagée par les deux jeunes tourtereaux est avorté soit par un jeu des principaux acteurs volontairement discret, délicat, bien élevé, frôlant le fastidieux, soit par leur entourage qui voit d’un mauvais œil cet embryon amoureux. Le jeune frère de Na, tombé dans le gangstérisme depuis la destruction de son village, mettra tout en œuvre pour empêcher sa sœur de vivre pleinement sa relation. Les esprits de la bande de petits caïds l’accompagnant s’acharnent sur Ton comme si cet homme instruit, venu de la capitale, était désormais le coupable idéal.
Ajoutés à l’histoire d’amour, ce sont des phénomènes sociaux qu’Assarat retranscrit dans Wonderful Town. La renaissance humaine et économique après un tel désastre paraît difficile, voire insurmontable. Le jeune frère de Na semble réduit à un tel état basique par des conditions de vie précaires, qu’il en retrouve un certain instinct de possessivité animal envers sa sœur et montre qu’il ne faut pas empiéter sur son territoire. Cette emprise fraternelle exagérée nous rappelle finalement la discrimination féminine encore trop peu dénoncée qui s’impose pourtant aux thaïlandaises à tous les échelons de la société.