Le principe du projet 10 Years Thailand ? Proposer à quatre réalisateurs d’illustrer ce à quoi pourrait ressembler leur pays dans dix ans. Les courts métrages qui composent le film, loin de suivre à la lettre cette commande, apparaissent comme une démonstration des façons infiniment diverses par lesquelles la question politique peut être abordée au cinéma. Dans le premier, Sunset, Aditya Assarat opte pour une écriture plutôt réaliste, quoique le réel y soit mis à distance par l’usage du noir et blanc et de longs plans fixes. Il y est également mis en abyme puisqu’il est ici question de la visite que rend l’armée à une exposition de photographie ayant soi-disant suscité des plaintes, pas explicitement critiques du régime mais simplement susceptibles de soulever des interrogations (« Pourquoi cette fille rit-elle devant une statue ? »). Bien que maîtrisée, cette évocation d’une possible intensification de la censure est quelque peu terre à terre, et l’histoire romantique dont elle se double ne lui donne pas davantage de profondeur.
Catopia de Wisit Sasanatieng se présente lui comme une film fantastique dystopique dans la lignée de La Planète des singes. Cette fois-ci, ce sont les chats (géants) qui ont pris le pouvoir, et qui traquent leurs anciens maîtres, les humains. Les ressorts de l’intrigue n’étant pas des plus fins, le film ne constitue qu’une approche pesante et peu originale de la question des discriminations.
La deuxième moitié du film se compose de propositions plus abouties. Dans Planetarium de Chulayarnnon Siriphol, des personnages se livrent à d’étranges rituels dans un monde d’apparence imaginaire, queer et coloré. Au centre de ce riche univers clipesque se trouve une matrone lourdement maquillée qui semble pouvoir lancer ou interrompre le flux de la vie d’une simple pression sur la touche Play d’un écran. Les inquiétudes qui imprègnent cette chorégraphie géante sans dialogues sont plus existentielles, bien que tout autant politiques, le regard plus oblique : sous ses airs ludiques et attrayants, l’univers pop de Planetarium semble pointer, autant que la répression, la servitude volontaire que nous nous infligeons, notamment à travers notre usage de la technologie. L’imaginaire débridé du réalisateur produit des images souvent perturbantes et percutantes, qui dessinent l’image d’un humain futur robotisé et jetable.
La proposition la plus finement subtile reste, sans surprise, celle d’Apichatpong Weerasethakul. Dans Song of the City, le cinéaste installe sa caméra dans un lieu qui est lui bien réel : le film s’ouvre sur une statue de Sarit Thanarat, dictateur du XXe siècle, qui trône au centre d’une place en rénovation. Non loin de là, une fresque loue des exploits militaires. On découvre comme par des regards dérobés des personnages qui s’entraînent à vendre une machine censée améliorer la qualité du sommeil, tandis que des ouvriers travaillent à la remise à neuf des lieux. La statue et la fresque brillent par leur quasi invisibilité aux yeux des protagonistes, qui ne réagissent pas à leur présence, si bien que Weerasethakul semble, lui, appeler à un éveil plutôt qu’à un plus profond endormissement. Faut-il voir dans la statue de tyrannosaure qui apparaît plus tard dans le film une reflet de celle qui l’ouvre ? Et dans le tas désordonnés de pavés ayant vocation à recouvrir le sol, comme pour enfouir davantage certains sédiments du passé, un appel à la révolte ?