Peut-on changer son destin, même lorsqu’on a choisi de l’infléchir avec l’aide d’une déesse ? C’est la question posée par Wu Ji, au début du film, et oubliée le reste du temps. Entre l’exposition de cette angoissante question et la réponse narquoise d’une divinité : un conte mignon, ripoliné et clinquant, mais sans souffle ni envergure.
Orpheline de guerre aux époques mythiques de la Chine, la petite Qingcheng se voit offrir par la déesse Manshen un choix qui devra décider de son existence : choisira-t-elle de poursuivre sa vie de simple mortelle, ce qui signifiera à court terme de périr comme les siens, ou bien acceptera-t-elle la proposition de la déesse, devenant ainsi une courtisane vénérée, désirée, mais jamais aimée ? La petite fille choisit de vivre, et se retrouve des années plus tard l’objet du conflit entre le cruel duc du nord Wuhuan et le populaire général Guangming, accompagné de son fidèle esclave Kunlun, ce dernier étant le seul de tous les hommes à jamais aimer sincèrement Qingcheng.
Le récit mythologique semble poser problème à l’Occident, qui regarde d’un œil prétentieux légendes et contes et se croit obligé de les enrubanner d’une pompe souvent malvenue : c’est ainsi que l’on rate un Pacte des loups. Le cinéma chinois, lui, ne semble pas se chercher de raison pour donner vie aux mythes de sa tradition historique : c’est ce qui nous est ici proposé. Combats homériques, héros aux pouvoirs magiques, objets maudits et armes invraisemblables : tout est ici présent pour, selon le spectateur, susciter un sourire indulgent ou proposer une grande aventure haute en couleurs.
Et haute en couleurs convient bien à Wu Ji, qui est tout entier baigné dans les couleurs les plus agressives, déniant dès le départ tout souci de vraisemblance, tout autant que les costumes superbes et parfaitement fantaisistes des personnages. Tel un luxueux livre d’images, le film propose une vision teintée de pastel de combats terribles et de sentiments exacerbés. Les effets numériques et ce parti pris de couleurs uniformes permettent un rendu séduisant, envoûtant presque, mais finalement bien plus pauvre dans son contenu que Hero, auquel il devra évidemment être comparé.
Si Zhang Yimou avait réussi le pari de Hero, c’est avant tout parce qu’il avait compris que styliser son univers pictural au maximum ne donnerait une force inattendue au récit que si la mise en scène suivait. Or, c’est ici ce qui pêche avant tout : Chen Kaige, loin d’Adieu ma concubine, filme avec la sincérité et l’audace d’un faiseur de fiction du mercredi soir sur France 2. De fait, le rythme du récit est tellement creux, alternant scènes de batailles interminables et séquences intimistes manquant d’un supplément d’âme, que le film perd rapidement son spectateur, qui en est réduit à suivre une histoire convenue aux rebondissements prévisibles. Hélas ! On cherche, pourtant, dans ce film, l’ambiguïté salvatrice : la prophétie annonçant un seul vrai amour perdu, se pourrait-il que le général, au départ vénal, se révèle vraiment amoureux ? L’amant désigné, son esclave, serait-il guidé par une obsession plus que par ses sentiments ? Se pourrait-il que le récit réserve une surprise, et suscite finalement des émotions ? Mais non. Tel un quelconque Harry Potter, Wu Ji se borne à décrire une histoire manifestement connue de son auditoire – chinois –, juste pour le plaisir des yeux, sans chercher à s’éloigner du matériau d’origine, et laissant donc de côté un spectateur qui y est d’autant plus étranger qu’il est peu familier de la tradition mythologique de l’Empire du Milieu.
Mais, il faut l’admettre : hormis les marteaux en mousse de la première séquence, le plaisir des yeux est bien là, car les images seules restent de toute beauté, la première et principale d’entre elles étant Cecilia Cheung, dans le rôle de Qingcheng, elle qui commande des armées avec ses seuls voiles. Pour les beaux yeux de ce personnage, on peut croire que des empires bataillent, et que tous soient prêts aux plus grands défis. Mais une fois cela passé, le film ne présente que peu d’intérêt. Il conviendrait que les producteurs mettent, aujourd’hui, un point d’honneur à cesser d’importer des films made in Asia sous prétexte que l’estampille fait vendre, et cherchent à proposer de la qualité plutôt qu’un clinquant creux et fade.