Il y a ce titre, d’abord: en quoi Zinedine Zidane, certes l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football, peut-il incarner d’une façon ou d’une autre les balbutiements d’un siècle naissant? Notre monde peut-il trouver son reflet dans le portrait plein de contradictions d’un homme tour à tour légende vivante, machine à rêves, businessman, homme-sandwich et fantasme d’intégration pour politiciens frileux? A priori, ce titre est une énigme, tant le film de Douglas Gordon et Philippe Parreno ressemble avant tout à une tentative de dissection d’un mythe, porté par le désir un peu fou de trouver des réponses en plongeant au cœur même du sujet. Et en allant le chercher dans son élément: un match de football.
Douglas Gordon et Philippe Parreno ne sont pas cinéastes, mais artistes vidéastes et plasticiens: Zidane, un portrait du XXIe siècle n’est pas un documentaire sur le footballeur, sa vie et son œuvre mais un objet à mi-chemin entre l’art contemporain et le cinéma, un concept hybride qui laissera sur la touche celles et ceux qui s’attendent à une sorte de In Bed with Zidane. Le film a été tourné en avril 2005 au stade Santiago Bernabeu durant un match de championnat de la Liga espagnole opposant le Real Madrid (l’équipe de Zidane) à Villareal. Pourtant, le jeu en lui-même et son issue importent peu. Les autres joueurs font office de figurants, des ombres dont on entend ou devine les cris en hors-champ (il faut saluer ici le soin exceptionnel apporté au son), des figures presque anonymes à peine identifiées par un nom sur un maillot: Ronaldo, Beckham et Figo sont comme ces centaines de seconds rôles que l’on aperçoit furtivement sur les champs de bataille des films de guerre.
Armés de dix-sept caméras haute définition empruntées à l’armée américaine, Gordon et Parreno ne filment que la star. Zidane qui attend. Zidane qui court. Zidane qui transpire. Zidane qui dribble, porté par la musique atmosphérique du groupe rock Mogwaï. Les dix premières minutes sont décisives: au spectateur de choisir son camp, car le film ne quittera jamais cette ligne de conduite. L’ennui est bien là, au détour de chaque plan, fidèle aux expérimentations warholiennes sur la captation du temps réel. Zidane, un portrait du XXIe siècle n’est pas une déclaration d’amour à son sujet mais une entreprise inédite et résolument ludique de déconstruction (mais pas de destruction) de celui que des milliers d’admirateurs ont rapidement déifié au lendemain de la Coupe du Monde de 1998.
Pourtant, le mystère Zidane reste intact: le joueur garde un air amusé après avoir commis une faute mais prend une mine irritée à la suite d’un but qu’il a aidé à marquer, comme s’il était frustré de ne pas l’avoir mis lui-même. Plusieurs fois au cours du film, les réflexions de Zidane apparaissent textuellement à l’écran, autant de considérations existentielles sur son statut de joueur qui, loin de ressembler aux délires métaphysico-poétiques d’un Cantona, confèrent à leur auteur, entre humilité et naïveté, une jolie sensibilité.
Quand, au bout d’une heure, comme pour marquer la mi-temps, Gordon et Parreno quittent le match pour faire défiler des images de l’actualité de ce 25 avril 2005, commentées là aussi par Zidane en insert texte, la tentative de recontextualisation paraît aussi vaine que maladroite. Et puis soudain, on comprend: au détour d’une photo prise lors de bombardements en Irak, on aperçoit un enfant avec un maillot de foot sur lequel est écrit le nom du joueur. Le titre du film prend alors tout son sens. Dresser un portrait de Zidane, c’est aussi ça: le trouver dans les endroits les plus inattendus, comme la fleur sur le béton, et accepter l’idée que cet homme, miracle du football aussi bien que produit de consommation, est à l’image de son époque. Portrait du XXIe siècle, définitivement.