Avec Zindeeq, concentré sur un personnage et ce qui lui arrive au cours d’une nuit, le cinéaste palestinien Michel Khleifi (Noces en Galilée, La Mémoire fertile) donne une image glaciale de la situation actuelle en Palestine.
Le protagoniste, dont le prénom restera inconnu (nommons-le X) et que Mohammad Bakri interprète, est cinéaste. Après avoir vécu en Europe, il revient dans sa Palestine natale (à Ramallah et Nazareth) pour filmer les témoins de l’exode de 1948. Une question l’obsède, pourquoi ses parents sont-ils restés ? Pourquoi n’ont-ils jamais répondu à cette interrogation ? Qu’est-ce qui est plus humiliant, être expulsé ou réfugié ? Si le personnage questionne le passé, c’est la situation actuelle que Michel Khleifi décrit. X n’a plus sa place en territoire occupé. Il ne peut pas rester à Nazareth car sa famille est menacée suite à un meurtre commis par son neveu. Lorsqu’il retrouve sa maison délabrée, elle sert d’abri à des clandestins apeurés. À la recherche d’un hôtel, dans la ville où règne l’insécurité, il ira de refus en refus au cours d’une nuit qui apparaît interminable. X répète désespérément « Je suis d’ici ! », mais ces mots ont perdu leur sens. La répétition de situations semblables (la demande d’hébergement et son arbitraire refus) relèverait d’un comique absurde si la fiction n’était ancrée dans la sombre réalité connue.
Michel Khleifi frappe par l’épure : Nazareth est une ville déserte, fantomatique et effrayante, la trame est des plus minces, les dialogues sont rares, les personnages peu nombreux. Le visage marqué de X, son jeu en retenue, s’accordent avec la sobriété générale. Cet homme, dont on ressent l’extrême solitude, condense en lui toute la souffrance et les problématiques de son peuple. De plus en plus épuisé par ses vaines déambulations, désespérément en quête d’un lieu où s’arrêter, il est aussi frappé par une grande tristesse, évidente lors de gros plans sur ses yeux, ses larmes, et qu’accompagne une musique mélancolique. Par ce personnage, par l’absurde, la mélancolie, la sobriété de son récit et de sa mise en scène, Zindeeq n’est pas sans rappeler les films d’Elia Suleiman.
X est un homme d’images, et par là doublement dangereux pour l’occupant (« Nous faisons des films, nous, pas la guerre » dit-il). À un moment, nous croyons comprendre qu’un patron d’hôtel pourrait être sur le point de dépanner le palestinien pour une nuit, mais il change d’avis en apprenant qu’il fait des films. X enregistre ce qu’il voit et visionne souvent ses rushes. Comme si la distance offerte par la retransmission pouvait l’aider à comprendre une situation qui le dépasse. Si dénonciation explicite il y a, elle est prise en charge par les images vues sur la caméra de X : les gens se plaignent des spoliations, ils expriment leur douleur. Michel Khleifi semble laisser à son personnage le soin d’enregistrer directement l’horreur, lui ayant choisi d’en rendre compte de façon plus sourde, plus détournée. Les images filmées par X sont aussi celles de ses rêves. X aime les femmes, il enchaîne les liaisons d’un soir. Il en est une, jamais touchée, dont l’image apparaît de façon récurrente. Dans la blancheur, la pureté, elle fait figure de l’idéal, d’une aspiration bien éloignée de la noirceur des situations traversées.
Par le biais de cet X et de son inscription dans une nuit aussi absurde qu’angoissante, Michel Khleifi dépeint un peuple épuisé, apeuré et désespéré. Nous sommes ici en plein cauchemar, et ses contours sont tellement flous que l’on est bien en peine d’en apercevoir une issue.