Courrier des lecteurs
Chers rédacteurs de Critikat,
Quand j’ai vu votre « top 10 de la décennie », j’ai immédiatement pensé au Top 100 de l’American Film Institute (faisons le calcul : nous avons 115 ans d’Histoire du cinéma, c’est une sélection à peu près similaire), une initiative à mon goût assez présomptueuse, pour un éventail de raisons qu’il ne sert à rien d’inventorier. Parmi elles tout de même, deux qui se détachent. D’abord le déséquilibre profond entre l’ampleur du sujet (une décennie de cinéma !) et l’épluchure qui en résulte (10 films, c’est mince) ; ensuite l’absence ou presque d’argumentation. Je dis presque, parce qu’en aval de la sélection (en aval, oui, c’est bizarre) vous en faites quand même une défense synthétique, qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui a le mérite de proposer autre chose qu’une liste de titres.
Bon, vous l’aurez compris, les top 10 ce n’est pas mon truc, mais je pense surtout qu’il faudrait le faire autrement. Parce que vous êtes, si j’ai bien compté, une trentaine de rédacteurs (trices) à avoir participé, tous forcément différents. Vous avez chacun fait votre top dans une logique différente, inséré un même film pour des raisons peut-être opposées, etc. La moyenne finale a des chances de relever du demi-hasard, à évacuer des films qui auraient donné matière à être débattus, pour adoucir les réticences des uns, ou au contraire diluer l’enthousiasme des autres. Quel est le rôle d’un top 10 ?
Il n’y a que peu d’intérêt à ce genre de sélection, sinon comme vous le dites vous-mêmes le jeu. Un top 10, ce n’est pas un dossier, ni une analyse, c’est plutôt l’occasion juste agréable de revenir sur les bons moments de la décennie, faire remonter les vieux débats à la surface, se repasser le film des dix dernières années en quelque sorte. C’est comme une fête où on invite les vieux copains de fac. Et au lieu d’envoyer pêle-mêle une liste qui tient à moitié du hasard, il vaut mieux se concerter pour concocter un bon mélange où chaque cinéma a sa place ! Parce que ce qui est regrettable ici, c’est l’absence de mouvements qui ont fait le nouveau cinéma (et avec lui la nouvelle
cinéphilie) des années 2000. Je pense au nouveau cinéma mexicain (Del Toro, Cuaron, Inarritu), coréen (Park Chan-Wook, Bong Joon-Ho) au film d’animation (un Ghibli par exemple). Bref c’est un autre sujet, mais il y a des pans majeurs du cinéma de la décennie qui sont totalement absents, comme des copains de fac qu’on a oublié d’inviter, et qui vont passer la soirée à manger des sardines à même la boîte pendant que tout le monde s’amusera sans eux.
Vous le dites vous-même, le top 10 manque de sang neuf. Vous le dites, vous le pointez du doigt mais ne reconnaissez pas le problème qui est pointé, me rappelant tristement la déplorable défense de la sélection Cannes 2009 par Michel Ciment (Positif), il y a quelques mois.
Voilà, c’était une diatribe un peu longue et j’en suis désolé. Félicitations pour votre travail, en vous souhaitant de faire toujours mieux entendre votre voix dans le très inégal paysage critique français.
Théo R.
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Cher lecteur,
Pour bien faire, il eut été plus pertinent de rédiger une réponse collégiale — j’ai bien peur qu’il vous faille vous contenter de ma seule contribution.
Vous pointez, fort justement, l’absence réelle d’analyse, de justification, qui fait couronner à certains le plébiscité Mulholland Drive, tandis que d’autres vont vers des chemins moins attendus (Uzak, Kill Bill, La Commune ou Les Chansons d’amour, pour ne citer qu’eux).
Notez, tout d’abord, que les défenseurs de ces films ont eu à coeur, à l’occasion de la « création » de ce Top 10, de fournir pour justifier leurs choix de numéro 1 — pas plus, certes — des articles de leur cru. Je vous enjoins d’ailleurs, en passant, à lire si vous ne l’avez pas déjà fait le papier consacré à notre numéro 1. Quid, me direz-vous, dans ce cas, de ceux dont les films étaient déjà pourvus de leur propre article ? Hélas, je ne peux que me ranger à vos remarques : tout cela eut mérité une réflexion plus poussée, si tant est que nous ayons voulu parler de cinéma.
Car est-ce bien le cas ? Je pense que le terme de « jeu », que nous utilisons pour définir cet exercice passablement futile — autant que peut l’être un top 10 annuel, d’ailleurs — est pleinement adapté. Pour nous, rédactrices et rédacteurs de critikat, le jeu était ici, je pense, plus de fournir un portrait chinois non pas de notre idée du cinéma, mais bien… de nous-même.
C’est d’ailleurs la seule chose à attendre d’un top quelconque — car qui oserait, en toute honnêteté intellectuelle, prétendre à définir un palmarès des meilleurs films d’une période donnée, qui n’a pas vu l’intégralité de la production cinématographique ?
En définitive, je dirais que si le top 10 « global » de notre décennie de cinéma peut sembler un tantinet sclérosé — une vision que je ne partage pas, en passant — l’intérêt réside avant tout pour chacune et chacun d’entre nous d’avoir eu l’occasion de sortir des cendres de l’oubli des films que l’on eut voulu voir considérés, récompensés, à l’époque de leur sortie. Et peut-être d’avoir dessiné une image un peu moins floue de nous-même.
Vincent Avenel, rédacteur et « monsieur courrier »
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Lire Top 10 de la décennie, petit jeu sans conséquence ni justification.